mercredi 6 novembre 2013

Sexualité, chemin vers soi, chemin sacré

Chemin vers soi, chemin sacré
 

 
« Lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le,
bien que ses chemins soient escarpés et sinueux.
Et quand ses ailes vous étreignent, épanchez-vous en lui,
en dépit de l’épée cachée dans son plumage qui pourrait vous blesser.
Et dès lors qu’il vous adresse la parole, croyez en lui,
même si sa voix fracasse vos rêves,
comme le vent du nord saccage les jardins. »
 
Khalil Gibran, Le Prophète
 
 
LA SEXUALITE QUESTIONNE NOTRE VIE

 
Quoi de plus banal aujourd’hui que parler de sexualité ? Pas un magazine n’a, au moins une fois dans l’année, son dossier, son article, ses astuces, pour « bien vivre sa sexualité ». La sexualité est de tous les débats, de toutes les émissions télé ou radio, et tout le monde s’accorde à dire qu’aujourd’hui, enfin, « elle est libérée » !
Et pourtant, derrière tout ce luxe de parole, est-il certain que la sexualité soit vécue si librement, est-il certain que hommes et femmes vivent à travers elle leur corps dans leur nature profonde ? Est-il certain que la sexualité s’exprime dans sa dimension la plus pleine, la plus sereine, la plus humaine et en même temps la plus sacrée ? Rien de moins sûr.
 
Pour accéder à cette plénitude, cela supposerait avoir, non pas résolu, mais au moins questionné un certain nombre de choses dans sa vie. Or la sexualité est dépositaire de tant de projections, de tant de tabous, de non-dits, que ce n’est pas forcément la parole « publique » qui peut libérer les représentations qui y sont associées. Certes, parler de sexualité peut modifier une certaine représentation qu’on en a. Mais la sexualité a rapport avec l’intime, avec le caché, le secret, le comblement de tant d’attentes que cela est rarement révélé en public. C’est avant tout une histoire entre soi et soi. Car si la sexualité est le fondement de notre rapport amoureux à l’autre, elle est d’abord, dans son alchimie première, un rapport à nous-même. C’est dans le rapport intime que nous avons à notre corps, à notre sexe, à notre désir, que va se construire notre capacité à éprouver du plaisir et à le partager avec autrui.
 
La sexualité nous parle de notre désir et le désir est ce qu’il y a de plus intime, de plus inconscient en nous-mêmes. Ce désir est parfois difficile à contacter parce qu’il a été dénaturé, masqué par des écrans que constituent l’éducation, la morale, les préjugés, les inhibitions, les peurs, les faux-semblants, les injonctions parentales, nos représentations de la féminité ou de la virilité. Il devient alors difficile d’être en contact avec nos véritables besoins et de n’être à l’écoute que de nous-mêmes.
 
La sexualité nous parle aussi de lâcher-prise. Il faut quitter le mental, abandonner le contrôle sur soi et sur l’autre, sur notre image, pour pouvoir s’abandonner au plaisir et à la jouissance. Ce sera d’autant plus difficile s’il existe un conflit entre notre désir profond et la représentation de nous-mêmes. Notre corps et notre mental font alors le grand écart, dans deux directions opposées et il n’est pas rare que ce soit le mental qui l’emporte, fort de sa maîtrise et de son emprise sur notre corps et nos émotions. 
 
La sexualité nous interpelle aussi sur notre maturité affective. Lorsque nous sommes en dépendance affective, l’autre est investi pour combler tous nos manques. Or, si nous n’avons pas assez d’amour pour nous-même, l’amour de l’autre ne sera pas comblant. Nous sommes seuls à pouvoir prendre en charge notre sensorialité, à cultiver l’érotisme qui est nécessaire à l’épanouissement de notre désir. Attendre tout de l’autre, c’est rester dans une fusion affective qui demande une perpétuelle réparation de la part de l’autre. Pour Jean-Michel Fitremann, psychologue spécialisé en sexologie, « la fusion épuise le plaisir génital », car « moins on est dépendant, plus on est curieux sexuellement. » (1)
 
Cela suppose de ne pas avoir peur des autres, d’être capable d’aller vers l’autre, différent de nous-même, et d’accepter cette différence. Gérer sa sexualité est perpétuellement un jeu de contradictions entre ses désirs, les désirs de l'autre, les impératifs sociaux et les autres choix d'existence.
 
Et bien sûr, la sexualité nous oblige à nous interroger sur l’éducation que nous avons reçue. La sexualité a-t-elle été valorisée, ou sommes-nous pétris de tabous, préjugés, incapables d’accepter le plaisir et de le vivre comme quelque chose de légitime ?
C’est au devant de ces questions que nous devons aller, lorsque nous nous interrogeons sur la sexualité. Sans réponse, difficile de trouver notre place d’être sexué, difficile d’accéder à la dimension la plus noble de la sexualité : nous connecter à la vie et retrouver sa dimension sacrée.
 
 
QUITTER SES CROYANCES POUR AIMER SON CORPS
 
Le corps est le vecteur incontournable de notre sexualité. Si nous avons nié notre corps, la sexualité nous rappelle à lui. Elle nous oblige à le regarder, à le vivre autrement, à nous en occuper, à être à son écoute. Nous pouvons alors être douloureusement confrontés à des limites qui viennent de notre vécu et de notre difficulté à nous accepter.
 
Le corps est en effet le support de l’estime de soi. Cette estime se construit dès la petite enfance et elle est liée à l’image que nous avons de notre corps. Françoise DOLTO parle de « l’image du corps », qu’elle qualifie d’entièrement inconsciente, contrairement au schéma corporel. Pour elle, l’image du corps est « la synthèse vivante de nos expériences émotionnelles. C’est grâce à notre image du corps portée et croisée à notre schéma corporel que nous pouvons entrer en communication avec autrui,(…) » (2)
 
Cette image de soi se sera constituée essentiellement autour des émotions et des sensations corporelles véhiculées par les cinq sens. Parmi ces sensations, celles de plaisir et déplaisir liées aux différentes zones érogènes constituent bien sûr des découvertes importantes. Cette différence entre « image du corps » et « schéma corporel » a aussi été validée par Paul SCHILDER, psychanalyste et neurologue. Ses travaux ont montré que les sensations corporelles sont liées à l'investissement narcissique de soi et "on voit qu'à travers l'image du corps, le soi est une représentation fortement marquée par le narcissisme". (3)
 
Ainsi le corps est le support du narcissisme (l’amour de soi) et son image est la représentation inconsciente où va naître le désir. Sans image positive du corps, le désir sera absent ou amputé, la relation à autrui sera difficile, car difficile avec soi-même.
De cet investissement narcissique vont dépendre l'amour et l'estime de soi, qui se traduiront dans notre vécu par : se sentir "bien ou mal dans sa peau", se trouver beau ou laid, s'aimer ou parfois même se détester. L'absence d'une image corporelle gratifiante est source de somatisation et de mal-être. Le corps est vécu alors comme un lieu de conflit, où des éléments inconscients sont enfouis et source de tensions. Et comme nous imaginons le monde sur le modèle de notre corps, nous projetons nos conflits sur l'extérieur.
 
Notre corps, nous l'avons aussi construit sur le modèle de notre mère. Car à la question "que voit le bébé quand il regarde le visage de sa mère ?", Donald WINNICOT, pédiatre et psychanalyste, fait cette réponse : "Généralement, ce qu'il voit, c'est lui-même. En d'autres termes, la mère regarde le bébé et ce que le visage exprime est en relation directe avec ce qu'elle voit". En effet, "Selon que ce visage exprime l'amour, la tendresse, l'admiration ou la tristesse, l'angoisse, le rejet (…) l'enfant va investir différemment son corps et l'image de soi". (4)
 
L’intégration de notre identité corporelle se fait aussi par notre identité sexuelle, lorsque nous sommes amenés à nous reconnaître garçon ou fille. Cette identité sexuelle ne résulte pas seulement du sexe anatomique, elle découle des identifications de la petite enfance et notamment de celles qui se nouent autour du complexe d’Œdipe. Ces identifications se font de manière prépondérante au parent du même sexe et par la suite, l’identité sexuelle prend appui sur les modèles de la féminité et de la virilité proposés par la culture.
 
 
Un héritage transgénérationnel
 
Ces modèles nous sont transmis par notre éducation. Mais notre sexualité ne commence pas avec notre histoire, avec notre naissance. Elle est l’héritière de notre arbre généalogique, des lignées qui nous ont précédés. Notre passé familial est en effet peuplé d’hommes et de femmes qui chacun ont laissé une part de leur destin dans notre vie. Que nous ont-il transmis de la féminité et de la masculinité ? Quelles traces ont-il laissé que nous continuons à faire vivre en reproduisant des modèles, des schémas, des comportements qui ne sont pas forcément en adéquation avec ce que nous sommes ?
 
Il faut alors prendre conscience de ces fidélités inconscientes qui entravent notre développement. Selon les histoires de chacun, nous pouvons être amenés à faire vivre davantage une polarité plutôt qu’une autre, à porter la culpabilité d’un acte vécu autrefois comme honteux, à refouler la sexualité parce qu’elle fait écho à des violences subies par nos ancêtres : viols, incestes, acte sexuel subi dans la résignation.
 
Combien de femmes mariées sans amour, obligées de subir la sexualité comme un acte répugnant, dont la conséquence était la mise au monde de nombreux enfants, source de souffrances, de charges et d’aliénation ? Combien d’amours déçus, impossibles, se soldant par des mariages arrangés, creuset de frustrations, de renoncements mal vécus ? Combien d’injonctions apprises par les femmes pour rester fidèles, passives, dans l’ombre, vivant dans l’excellence la soumission, le déni de soi ? Combien de femmes rendues impuissantes dans la double contrainte de leur condition : être mère –sans être femme- et être femme –au risque d’être « putain »- ? Combien d’hommes, répondant au même schéma, incapables d’avoir une sexualité libre avec « la mère de leurs enfants », et allant chercher leur plaisir ailleurs, quitte à payer pour cela une autre femme ? Nos lignées familiales sont pleines d’histoires où femmes et hommes ont perdu la confiance en leur féminité ou leur masculinité, perdant ainsi le sens profond de la sexualité.
 
 
Une transmission du renoncement
 
Qu’ont pu transmettre ces hommes et ces femmes, sinon le dégoût ou le déni de soi, la frustration, la honte et le renoncement au désir ? Dans certaines lignées, il faut faire avec ces histoires là, il faut désapprendre le déplaisir et partir à la conquête du plaisir. Ce n’est pas une mince affaire, car cela implique de rompre avec une loyauté invisible qui nous maintient dans notre « clan », réflexe ancestral qui nous pousse à l’intégration pour raison de survie. Cela suppose de poser sur soi un autre regard, de s’aimer davantage et de se réapproprier son corps, ses besoins, ses désirs, avec la certitude qu’ils sont uniques, légitimes et respectables.
 
Car si nous vivons dans l’illusion d’une parole libérée, il n’est pourtant pas rare d’entendre encore les stéréotypes de toujours s’exprimer : un homme qui a beaucoup de conquêtes est « viril », « séducteur », « don Juan », une femme, elle, « couche » et n’est pas respectable. Ces affirmations ne sortent pas forcément de la bouche des vieilles générations, certains jeunes adhèrent pleinement à cette vision. C’est une vision qui perdure par le biais de notre culture judéo-chrétienne (5), dont l’ordre moral fut lui-même induit par toute une lignée de penseurs dès l’Antiquité, comme nous le rappelle cette « belle » pensée laissée par Pythagore : « Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et l’homme ; et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme ».
 
En 1760, le traité sexuel du Dr Tissot présentait la masturbation et la sexualité infantile comme l’origine de la plupart des maladies… Nos jugements viennent donc de loin !
Et lorsque nous jugeons le comportement sexuel d’autrui, cela évite de se poser les vraies questions. Nous évitons d’admettre qu’il a des besoins qui lui sont propres, nous évitons de voir que nous en avons qui sont inassouvis et nous fuyons le contact avec nous-mêmes. Mais nous donnons de cette façon un faux cadre à nos comportements sexuels, des ornières qui sont rassurantes. Nous vivons alors dans la plus terrible des pesanteurs : celle qui consiste à demeurer conforme à ce que l’entourage, l’opinion, notre « image » attendent de nous. Et pour la femme, le poids de la société reste plus pesant encore.
 
Traditionnellement, la femme peut prétendre à la sexualité uniquement dans le mariage. « Pour elle, l’acte de chair, s’il n’est pas sanctifié par le code, par le sacrement, est une faute, une chute, une défaite, une faiblesse ; elle se doit de défendre sa vertu, son honneur ; si elle « cède », si elle « tombe », elle suscite le mépris ; tandis que dans le blâme même qu’on inflige à son vainqueur, il entre de l’admiration. », nous disait Simone de Beauvoir (6)
 
Une femme libre paie un lourd tribu pour son émancipation : jugements, dénigrement, mise à l’écart, car la société punit « l’insubordination » des femmes par la solitude et l’exclusion.
Certes, dans nos sociétés « évoluées », les moyens sont raffinés, mais ils restent dans l’esprit de la loi que les hommes ont imposée : c’est la femme qui porte le poids de la culpabilité sexuelle. Ici on lapide la femme adultère, là on la voile pour qu’elle perde son pouvoir, dans d’autres temps on la rasait pour avoir aimé en temps de guerre. A chaque fois, elle est seule à porter le poids du désir, du plaisir, de l’union des corps et de ce qui reste, malgré tout, la chose la plus « naturelle » qui soit, puisque inhérente à notre nature, à notre physiologie.
 
N’oublions pas que tout est affaire de culture. Les Inuits pratiquent une sexualité que nous qualifierions d’échangiste. Et pourtant chez eux, changer de femme avec celle d’un autre homme est une très grande marque d’estime et de confiance. Ce sont même des pratiques qui vont renforcer le lien social, car les familles impliquées seront désormais considérées comme parentes et les enfants comme frères et sœurs. On s’en doute, ce type de pratiques ne sera pas, chez nous, du genre à renforcer le lien social, mais plutôt source de zizanie  ! 
 
En somme, au-delà des conventions et des dictats de la morale, combien de couples aujourd’hui sont capables d’être ce lieu où peuvent s’exprimer tous les fantasmes, tous les besoins profonds, toutes les dimensions de la sexualité, sans se sentir brimé, en danger, renié, jugé ? Combien d’hommes et de femmes sont réellement capables d’aimer leur corps dans le plaisir, sans renier ce plaisir partagé, et d’aimer leur sexe, cet organe sujet de tant de convoitises quand il s’agit du sexe de l’autre, mais pourtant si mal aimé quand il s’agit du sien ?
 
La sexualité est donc cet espace où s’exprime une foule de représentations, d’apprentissages, de vécus, de mémoires, qui sont la somme plus ou moins consciente de nos expériences passées. Notre corps est le lieu où s'expriment plusieurs langages : celui de la biologie, des émotions, de la pensée ou de la symbolique. Il devient ainsi à notre insu porteur de multiples significations liées à une culture et à un contexte. Et il est langage parce que c’est en lui que se dépose la parole de nos parents, de nos ancêtres, et c’est par lui aussi que nous exprimons un langage inconscient, fruit de nos interdits et de nos désirs refoulés.
 
 
ALLER VERS SOI POUR CONNAÎTRE SON DESIR
 
Si la sexualité nous oblige à comprendre dans quel contexte nous avons été élevés, elle nous oblige aussi à nous rapprocher de nous-mêmes, pour être à l’écoute de notre ressenti, de nos émotions. Car la première condition à une sexualité épanouie, c’est de pouvoir être en accord avec son ressenti. Encore faut-il être en contact avec son intime, avec ce qui vibre en soi, ce qui nous rend vivant. Là aussi, habitués que nous sommes à répondre à des injonctions inconscientes, il nous est parfois difficile de connaître notre désir profond.
 
La société fait d’ailleurs tout pour nous induire en erreur, afin de nous rendre consommateurs et dépendants. Pour cela, elle édifie des modèles qu’elle sacralise, valorise, pour en faire une norme recherchée, bien loin de la réalité humaine. C’est ainsi que nous sommes amenés à consommer ce que la société valorise : les marchandises, mais aussi les êtres humains qui correspondent aux modèles valorisés. : femmes aux corps de rêve, au profil de « wonderwoman », hommes puissants ou protecteurs, eux aussi aux corps parfaits. Ces injonctions peuvent nous paraître complètement étrangères, rendues inconscientes par des messages quasi subliminaux véhiculés par certaines publicités, ou des messages on ne peut plus clairs imposés par les affiches géantes recouvrant les murs de la cité, ou les photos inondant les magazines.
 
La meilleure façon aujourd’hui d’assujettir les êtres humains, c’est d’agir sur leur image. En valorisant des idéaux quasiment impossible à atteindre, on maintient les gens dans la souffrance, dans une infériorité qui touche le plus profond de leur être, puisqu’il s’agit du désir, du sexe et de l’amour.
 
Or le corps de rêve, ce n’est pas le corps du désir. En cherchant à posséder un idéal, on risque de ne pas répondre à ses besoins. Ce ne sont pas des proportions parfaites qui rendent une personne désirable, mais son être, sa façon d’être, sa sensualité qui affleure, sa sensibilité qu’elle veut bien offrir. Ce qui rend l’autre désirable, ce sera aussi toujours cette part de mystère, sur laquelle on ne pourra pas mettre de mots, car cela échappe à toute logique, à toute justification, à toute rationalité. Car le désir qui entre en nous, c’est la vie qui entre, qui circule, qui nous met en mouvement et qui nous échappe totalement. A ce niveau, nous pouvons imaginer à quel point la vie s’accommode assez mal de la morale, et comme la morale peut parfois mal s’accommoder de la vie !
 
Nous sommes là au cœur de notre problématique. Est-ce que nous répondons aux schémas imposés, appris, ou bien sommes-nous en contact avec notre être intérieur, qui seul peut nous guider ? Est-ce que nous sommes dans la satisfaction des besoins qu’exigent notre ego, notre image, notre statut social, ou bien essayons-nous de trouver ce qui nous nourrit, ce qui nous comble, ce qui nous agrandit ?
 
Pour trouver sa réponse, il faut être à l’écoute de soi, prendre la peine de savoir qui l’on est, s’arrêter sur ses sensations, ses émotions, ses ressentis, prendre le temps de s’explorer de l’intérieur. Cette descente en soi, qui va permettre de retrouver l’être que l’on est, qui va permettre d’adhérer à ce que nous sommes, est aussi ce qui va nous donner la capacité d’aller vers les autres. Point de retrouvailles avec l’autre si nous ne sommes pas capables d’avoir des retrouvailles avec nous-mêmes. C’est dans la réconciliation avec soi, dans l’acceptation de ce que nous sommes, que nous pourrons nous offrir à l’autre. Car la sexualité suppose que le plaisir éprouvé soit partagé, montré, « offert ». Et comment pouvons-nous le faire, si nous ne sommes pas déjà capables de nous l’offrir à nous-mêmes ?
 
 
L’Amoureux : l’incarnation du désir et du choix
 
La sixième lame du tarot représente un homme au milieu de deux personnages : une jeune femme dont l’une des mains pointe son cœur, et un autre personnage, plus sévère, qui lui pose la main sur l’épaule. Au dessus d’eux, Cupidon, prêt à décocher sa flèche.
Cette carte évoque le couple, c’est à dire la première dualité et parle du désir, du choix et de la quête intérieure. Pour l’aspirant, pour l’Amoureux, il s’agit de choisir entre la raison et l’amour, entre la voie profane ou la voie sacrée.
 
Cette carte nous montre un Amoureux serein, car il a la main à la ceinture. La ceinture est signe de force et de pouvoir, symbole de protection, de purification. Elle est portée sur les reins qui, selon la Bible, symbolisent la puissance, la force et la justice. Le voyageur qui la portait montrait ainsi qu’il était prêt à affronter le danger. C’est aussi ce qui attend symboliquement l’Amoureux qui doit se positionner, choisir sa voie, car devant lui s’ouvrent deux chemins et il a un pied sur chaque. Dans certaines cartes du Tarot, l’Amoureux est représenté avec une jambe rouge et une jambe bleue, pour bien montrer cette dualité.
 
C’est une carte qui relie le charnel et le spirituel, car L’Amoureux qui s’engage sur la voie de l’amour et du sacré a écouté ses désirs. Les désirs sont une voie de l’éveil, un moteur pour accéder à notre voie. Ils sont reliés au cœur par le biais des émotions, car pour s’engager, il faut faire descendre l’énergie du 3ème chakra (plexus solaire), dans l’énergie du 2ème chakra, qui est le lieu de la sensualité, de la dualité homme/femme, là où s’incarne le verbe « je désire » et qui nous questionne sur « comment je suis désiré ». La terre labourée que l’on aperçoit derrière les personnages signifie que pour en arriver là, il faut avoir fait un travail psychologique et spirituel.
Cupidon, qui est placé dans le soleil (3ème chakra), attend que l’homme fasse un choix. Ce n’est qu’après qu’il interviendra en sa faveur, répondant ainsi à l’adage « pose la première pierre et le ciel t’aidera ».
 
L’énergie des reins
 
L'énergie sexuelle, située au niveau des reins, est bien souvent méconnue et le creuset de formidables ressources à explorer pour atteindre des états de bien-être et les sublimer.
Par des méditations, des respirations (pranayama), des exercices de Qi Gong Taoïste, l'énergie peut se libérer, être canalisée et s'amplifier à travers le corps et les différents organes. Reliée à l'ouverture du Cœur et de l'Esprit, selon l'Alchimie Taoïste, elle apporte une réelle transformation de l'Etre dans sa globalité.
 
 
VIVRE SA SEXUALITE POUR TOUCHER AU SACRE
 
Rappelons que le sacré n’est pas le religieux, mais qu’étymologiquement, le sacré est ce qui est « mis à part », écarté du vulgaire, car n’est devenu vulgaire, profane que ce qui s’est séparé du sacré. Annick de Souzenelle, psychothérapeute spécialisée dans le symbolisme du corps humain et la Kabbale, nous rappelle que le mot « secret », qui vient du latin « secernere », veut dire mettre à part. La symbolique de l’arbre des Séphiroth, l’arbre de vie qui représente dix énergies divines, dix archétypes, se superpose au schéma corporel.
 
« Yesod », que l’on pourrait situer au niveau du second chakra, signifie « le fondement » et correspond à la sexualité. « Yesod » contient lui aussi la racine « sod », qui signifie « secret », qui participe du « sacré ». C’est Yesod qui donne naissance aux premières vertèbres de la colonne vertébrale qui sont justement appelées « sacrées ». Toute fonction liée à ce niveau est sacrée. S’il y a eu une désacralisation de la sexualité, la responsabilité en revient à la religion qui a décrété que la procréation était sa seule finalité. Pourtant, A. de Souzenelle nous dit de ne pas oublier que « Yesod » est « l’entrée de la chambre nuptiale, sanctuaire où s’accomplissent les noces secrètes de l’homme et de la femme. » (7)
 
Il est en effet intéressant, de voir que cette partie anatomique de l’être humain, la zone génitale, le bas des reins, si souvent dépréciée, si loin de notre tête qui maîtrise tout, soit associée à ce caractère sacré et qu’on ait justement nommé les vertèbres qui s’y trouvent « sacrées ». Il est encore plus remarquable de savoir que la Tradition rapporte que le mot « Luz », dont tous les dérivés dans notre langue signifient « lumière », est attribué à un os à la base de la colonne vertébrale, très dur, indestructible, où l’âme demeurerait même après la mort. Ainsi le sacrum représente l’Arbre en germe, et c’est par le déploiement de la Kundalini que cette zone s’éveille pour atteindre les divers chakras jusqu’au troisième œil.
 
Cela signifie que cette zone ne doit nullement rester endormie, mais qu’elle demande à être vécue avec justesse. Car, nous dit A. de Souzenelle, « toute ascèse qui serait écrasement est fausse ; tout refus d’ascèse est également faux. »
 
Ce « sanctuaire où s’accomplit les noces secrètes », est une idée reprise dans tous les écrits et les travaux parlant d’alchimie. L’Oeuvre dont parlent les alchimistes, est un processus qui reprend perpétuellement les épousailles comme moyen d’atteindre « la pierre philosophale », « opération par laquelle la femme se transforme en homme et l’homme en femme et où il ne font plus qu’un. » (8) C’est la réunion des éléments originels, Sulphur et Mercurius, qui forment alors un être androgyne, pour accéder à une unité plus haute. L’homme et la femme forment un couple d’opposés, ils vont ensemble reformer l’unité primitive de l’amour.
 
Car Eve fut créée de l’essence d’Adam, c’est à dire de l’aspect féminin de son être. Le but de l’existence terrestre serait la réunion des deux aspects opposés. La voie qui y mène passe alors par les sens et l’assouvissement de la sexualité, « ce à quoi font obstacle les fausses doctrines morales et le dogmatisme religieux qui est un instrument de répression sexuelle. » (9)
 
N’oublions pas que Eros est une pulsion de vie. Si Freud a tenté de libérer les énergies sexuelles qui y étaient associées, il n’a pas perçu, selon A. de Souzenelle, les énergies les plus hautes qui y étaient aussi refoulées, à savoir les énergies spirituelles, en tant que conscience qui permet de participer à un nouveau champ du réel. Dans sa quête, l’Homme est « aujourd’hui à la recherche d’une qualité de l’éros qui ne peut s’investir que dans le spirituel et qui resacralisera la sexualité ». (10)
 
Nous sommes tous très fragiles quand il s'agit d'évoquer notre sexualité, aussi est-il essentiel de communiquer avec respect, compréhension et égards. Pour commencer, il faut doucement revenir à la notion de « corps sensoriel », centre d’échanges intimes, et non de possessions, avec cette vision selon laquelle une expérience sensuelle raffinée a plus de prix que le brusque soulagement d’un besoin. C’est redonner sa place à l’érotisme, plutôt qu’à une simple sexualité. Mais pour cela, il faut être en contact avec quelque chose d’essentiel : l’intimité. L’intimité avec soi, et l’intimité avec l’autre, ce qui est un luxe affectif que tout le monde ne connaît pas. L’intimité, vécue, non reniée, est ce qui va nourrir affectivement le couple et sa sexualité. Dans l’intimité, nous pouvons rester vivants. Et c’est bien cette sensation d’être vivants, qui nous garde au cœur de la vie et nous invite à une autre conscience. La conscience de faire partie d’un tout, sans être séparé.
 
Dans cette symbolique qui fait de l’homme le soleil ou le ciel, de la femme la lune ou la terre, la sexualité est ce qui va permettre de relier l’un à l’autre notre ciel et notre terre, en traversant notre chair pour illuminer notre cœur jusqu’à notre âme et nous faire grandir à l’infini.
 
Michèle THÉRON
Praticienne de santé naturopathe
 


 
 
(1) Jean-Michel Fitremann, in Psychologies n° 227, auteur de « ABC de la sexualité », Grancher
(2) F. Dolto, in L’image inconsciente du corps, 1984
(3), (4), cités par E.M. LIPIANSKY, in L'identité, Ed. Sciences Humaines
(5) Voir l’ouvrage de Yves Semen, "La sexualité selon Jean Paul II", qui transmet l’enseignement que le Pape a appelé une "théologie du corps" au cours de 130 conférences sur ce sujet. L’auteur y fait paraît-il découvrir combien la pensée de Jean Paul II est libératrice, chassant définitivement de la morale catholique toute condamnation de la sexualité et toute méfiance à son égard. A découvrir donc… pour en juger par soi-même.
(6) S. de Beauvoir, in Le deuxième sexe, II, Gallimard
(7) A. de Souzenelle, in Le Symbolisme du corps humain, Albin Michel
(8) Michel Maier, 1618, cité dans Alchimie et mystique
(9) Alexander Roob, in Alchimie et mystique, Taschen
(10), A. de Souzenelle, in Le sens du sacré, Question de , Albin Michel
 
 
Bibliographie
- L'Un n'empêche pas l'autre, La voie de l'amoureux, Arouna Lipschitz, Editions Le Souffle d'Or
- Le sens du sacré, Collectif, Ed. A. Michel
- Eloge de l’intimité, Willy Pasini, Payot
- Une passion entre Ciel et Chair, Christiane Singer
- Le choc amoureux, Franscesco Alberoni

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