Chemin vers soi, chemin sacré
« Lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le,
bien que ses chemins soient escarpés et sinueux.
Et quand ses ailes vous étreignent, épanchez-vous en lui,
en dépit de l’épée cachée dans son plumage qui pourrait vous blesser.
Et dès lors qu’il vous adresse la parole, croyez en lui,
même si sa voix fracasse vos rêves,
comme le vent du nord saccage les jardins. »
Khalil Gibran, Le Prophète
LA SEXUALITE QUESTIONNE NOTRE VIE
Quoi
de plus banal aujourd’hui que parler de sexualité ? Pas un magazine
n’a, au moins une fois dans l’année, son
dossier, son article, ses astuces, pour « bien vivre sa sexualité ».
La sexualité est de tous les débats, de toutes les émissions télé ou
radio, et tout le monde s’accorde à dire
qu’aujourd’hui, enfin, « elle est libérée » !
Et
pourtant, derrière tout ce luxe de parole, est-il certain que la
sexualité soit vécue si librement, est-il certain que
hommes et femmes vivent à travers elle leur corps dans leur nature
profonde ? Est-il certain que la sexualité s’exprime dans sa dimension
la plus pleine, la plus sereine, la plus humaine et
en même temps la plus sacrée ? Rien de moins sûr.
Pour
accéder à cette plénitude, cela supposerait avoir, non pas résolu, mais
au moins questionné un certain nombre de choses
dans sa vie. Or la sexualité est dépositaire de tant de projections,
de tant de tabous, de non-dits, que ce n’est pas forcément la parole
« publique » qui peut libérer les
représentations qui y sont associées. Certes, parler de sexualité
peut modifier une certaine représentation qu’on en a. Mais la sexualité a
rapport avec l’intime, avec le caché, le secret, le
comblement de tant d’attentes que cela est rarement révélé en
public. C’est avant tout une histoire entre soi et soi. Car si la
sexualité est le fondement de notre rapport amoureux à l’autre,
elle est d’abord, dans son alchimie première, un rapport à
nous-même. C’est dans le rapport intime que nous avons à notre corps, à
notre sexe, à notre désir, que va se construire notre capacité à
éprouver du plaisir et à le partager avec autrui.
La
sexualité nous parle de notre désir et le désir est ce qu’il y a de
plus intime, de plus inconscient en nous-mêmes. Ce
désir est parfois difficile à contacter parce qu’il a été dénaturé,
masqué par des écrans que constituent l’éducation, la morale, les
préjugés, les inhibitions, les peurs, les faux-semblants, les
injonctions parentales, nos représentations de la féminité ou de la
virilité. Il devient alors difficile d’être en contact avec nos
véritables besoins et de n’être à l’écoute que de
nous-mêmes.
La
sexualité nous parle aussi de lâcher-prise. Il faut quitter le mental,
abandonner le contrôle sur soi et sur l’autre, sur
notre image, pour pouvoir s’abandonner au plaisir et à la
jouissance. Ce sera d’autant plus difficile s’il existe un conflit entre
notre désir profond et la représentation de nous-mêmes. Notre
corps et notre mental font alors le grand écart, dans deux
directions opposées et il n’est pas rare que ce soit le mental qui
l’emporte, fort de sa maîtrise et de son emprise sur notre corps et
nos émotions.
La
sexualité nous interpelle aussi sur notre maturité affective. Lorsque
nous sommes en dépendance affective, l’autre est
investi pour combler tous nos manques. Or, si nous n’avons pas assez
d’amour pour nous-même, l’amour de l’autre ne sera pas comblant. Nous
sommes seuls à pouvoir prendre en charge notre
sensorialité, à cultiver l’érotisme qui est nécessaire à
l’épanouissement de notre désir. Attendre tout de l’autre, c’est rester
dans une fusion affective qui demande une perpétuelle réparation
de la part de l’autre. Pour Jean-Michel Fitremann, psychologue
spécialisé en sexologie, « la fusion épuise le plaisir génital », car
« moins on est dépendant, plus on est curieux
sexuellement. » (1)
Cela
suppose de ne pas avoir peur des autres, d’être capable d’aller vers
l’autre, différent de nous-même, et d’accepter
cette différence. Gérer sa sexualité est perpétuellement un jeu de
contradictions entre ses désirs, les désirs de l'autre, les impératifs
sociaux et les autres choix d'existence.
Et
bien sûr, la sexualité nous oblige à nous interroger sur l’éducation
que nous avons reçue. La sexualité a-t-elle été
valorisée, ou sommes-nous pétris de tabous, préjugés, incapables
d’accepter le plaisir et de le vivre comme quelque chose de légitime ?
C’est
au devant de ces questions que nous devons aller, lorsque nous nous
interrogeons sur la sexualité. Sans réponse,
difficile de trouver notre place d’être sexué, difficile d’accéder à
la dimension la plus noble de la sexualité : nous connecter à la vie et
retrouver sa dimension sacrée.
QUITTER SES CROYANCES POUR AIMER SON CORPS
Le
corps est le vecteur incontournable de notre sexualité. Si nous avons
nié notre corps, la sexualité nous rappelle à lui.
Elle nous oblige à le regarder, à le vivre autrement, à nous en
occuper, à être à son écoute. Nous pouvons alors être douloureusement
confrontés à des limites qui viennent de notre vécu et de
notre difficulté à nous accepter.
Le
corps est en effet le support de l’estime de soi. Cette estime se
construit dès la petite enfance et elle est liée à
l’image que nous avons de notre corps. Françoise DOLTO parle de
« l’image du corps », qu’elle qualifie d’entièrement inconsciente,
contrairement au schéma corporel. Pour elle, l’image
du corps est « la synthèse vivante de nos expériences émotionnelles.
C’est grâce à notre image du corps portée et croisée à notre schéma
corporel que nous pouvons entrer en communication
avec autrui,(…) » (2)
Cette
image de soi se sera constituée essentiellement autour des émotions et
des sensations corporelles véhiculées par les
cinq sens. Parmi ces sensations, celles de plaisir et déplaisir
liées aux différentes zones érogènes constituent bien sûr des
découvertes importantes. Cette différence entre « image du
corps » et « schéma corporel » a aussi été validée par Paul
SCHILDER, psychanalyste et neurologue. Ses travaux ont montré que les
sensations corporelles sont liées à
l'investissement narcissique de soi et "on voit qu'à travers l'image
du corps, le soi est une représentation fortement marquée par le
narcissisme". (3)
Ainsi
le corps est le support du narcissisme (l’amour de soi) et son image
est la représentation inconsciente où va naître le
désir. Sans image positive du corps, le désir sera absent ou amputé,
la relation à autrui sera difficile, car difficile avec soi-même.
De
cet investissement narcissique vont dépendre l'amour et l'estime de
soi, qui se traduiront dans notre vécu par : se sentir
"bien ou mal dans sa peau", se trouver beau ou laid, s'aimer ou
parfois même se détester. L'absence d'une image corporelle gratifiante
est source de somatisation et de mal-être. Le corps est vécu
alors comme un lieu de conflit, où des éléments inconscients sont
enfouis et source de tensions. Et comme nous imaginons le monde sur le
modèle de notre corps, nous projetons nos conflits sur
l'extérieur.
Notre
corps, nous l'avons aussi construit sur le modèle de notre mère. Car à
la question "que voit le bébé quand il regarde
le visage de sa mère ?", Donald WINNICOT, pédiatre et psychanalyste,
fait cette réponse : "Généralement, ce qu'il voit, c'est lui-même. En
d'autres termes, la mère regarde le bébé et ce que le
visage exprime est en relation directe avec ce qu'elle voit". En
effet, "Selon que ce visage exprime l'amour, la tendresse, l'admiration
ou la tristesse, l'angoisse, le rejet (…) l'enfant va
investir différemment son corps et l'image de soi". (4)
L’intégration
de notre identité corporelle se fait aussi par notre identité sexuelle,
lorsque nous sommes amenés à nous
reconnaître garçon ou fille. Cette identité sexuelle ne résulte pas
seulement du sexe anatomique, elle découle des identifications de la
petite enfance et notamment de celles qui se nouent autour
du complexe d’Œdipe. Ces identifications se font de manière
prépondérante au parent du même sexe et par la suite, l’identité
sexuelle prend appui sur les modèles de la féminité et de la virilité
proposés par la culture.
Un héritage transgénérationnel
Ces
modèles nous sont transmis par notre éducation. Mais notre sexualité ne
commence pas avec notre histoire, avec notre
naissance. Elle est l’héritière de notre arbre généalogique, des
lignées qui nous ont précédés. Notre passé familial est en effet peuplé
d’hommes et de femmes qui chacun ont laissé une part de
leur destin dans notre vie. Que nous ont-il transmis de la féminité
et de la masculinité ? Quelles traces ont-il laissé que nous continuons à
faire vivre en reproduisant des modèles, des
schémas, des comportements qui ne sont pas forcément en adéquation
avec ce que nous sommes ?
Il
faut alors prendre conscience de ces fidélités inconscientes qui
entravent notre développement. Selon les histoires de
chacun, nous pouvons être amenés à faire vivre davantage une
polarité plutôt qu’une autre, à porter la culpabilité d’un acte vécu
autrefois comme honteux, à refouler la sexualité parce qu’elle
fait écho à des violences subies par nos ancêtres : viols, incestes,
acte sexuel subi dans la résignation.
Combien
de femmes mariées sans amour, obligées de subir la sexualité comme un
acte répugnant, dont la conséquence était la
mise au monde de nombreux enfants, source de souffrances, de charges
et d’aliénation ? Combien d’amours déçus, impossibles, se soldant par
des mariages arrangés, creuset de frustrations, de
renoncements mal vécus ? Combien d’injonctions apprises par les
femmes pour rester fidèles, passives, dans l’ombre, vivant dans
l’excellence la soumission, le déni de soi ? Combien de
femmes rendues impuissantes dans la double contrainte de leur
condition : être mère –sans être femme- et être femme –au risque d’être
« putain »- ? Combien d’hommes, répondant
au même schéma, incapables d’avoir une sexualité libre avec « la
mère de leurs enfants », et allant chercher leur plaisir ailleurs,
quitte à payer pour cela une autre femme ? Nos
lignées familiales sont pleines d’histoires où femmes et hommes ont
perdu la confiance en leur féminité ou leur masculinité, perdant ainsi
le sens profond de la sexualité.
Une transmission du renoncement
Qu’ont
pu transmettre ces hommes et ces femmes, sinon le dégoût ou le déni de
soi, la frustration, la honte et le renoncement
au désir ? Dans certaines lignées, il faut faire avec ces histoires
là, il faut désapprendre le déplaisir et partir à la conquête du
plaisir. Ce n’est pas une mince affaire, car cela
implique de rompre avec une loyauté invisible qui nous maintient
dans notre « clan », réflexe ancestral qui nous pousse à l’intégration
pour raison de survie. Cela suppose de poser sur
soi un autre regard, de s’aimer davantage et de se réapproprier son
corps, ses besoins, ses désirs, avec la certitude qu’ils sont uniques,
légitimes et respectables.
Car
si nous vivons dans l’illusion d’une parole libérée, il n’est pourtant
pas rare d’entendre encore les stéréotypes de
toujours s’exprimer : un homme qui a beaucoup de conquêtes est
« viril », « séducteur », « don Juan », une femme, elle, « couche » et
n’est pas
respectable. Ces affirmations ne sortent pas forcément de la bouche
des vieilles générations, certains jeunes adhèrent pleinement à cette
vision. C’est une vision qui perdure par le biais de
notre culture judéo-chrétienne (5), dont l’ordre moral fut lui-même
induit par toute une lignée de penseurs dès l’Antiquité, comme nous le
rappelle cette « belle » pensée laissée par
Pythagore : « Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière
et l’homme ; et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et
la femme ».
En 1760, le traité sexuel du Dr Tissot présentait la masturbation et la sexualité infantile comme l’origine de la plupart des
maladies… Nos jugements viennent donc de loin !
Et
lorsque nous jugeons le comportement sexuel d’autrui, cela évite de se
poser les vraies questions. Nous évitons d’admettre
qu’il a des besoins qui lui sont propres, nous évitons de voir que
nous en avons qui sont inassouvis et nous fuyons le contact avec
nous-mêmes. Mais nous donnons de cette façon un faux cadre à
nos comportements sexuels, des ornières qui sont rassurantes. Nous
vivons alors dans la plus terrible des pesanteurs : celle qui consiste à
demeurer conforme à ce que l’entourage, l’opinion,
notre « image » attendent de nous. Et pour la femme, le poids de la
société reste plus pesant encore.
Traditionnellement,
la femme peut prétendre à la sexualité uniquement dans le mariage.
« Pour elle, l’acte de chair,
s’il n’est pas sanctifié par le code, par le sacrement, est une
faute, une chute, une défaite, une faiblesse ; elle se doit de défendre
sa vertu, son honneur ; si elle
« cède », si elle « tombe », elle suscite le mépris ; tandis que
dans le blâme même qu’on inflige à son vainqueur, il entre de
l’admiration. », nous disait Simone de
Beauvoir (6)
Une femme libre paie un lourd tribu pour son émancipation : jugements, dénigrement, mise à l’écart, car la société punit
« l’insubordination » des femmes par la solitude et l’exclusion.
Certes,
dans nos sociétés « évoluées », les moyens sont raffinés, mais ils
restent dans l’esprit de la loi que les
hommes ont imposée : c’est la femme qui porte le poids de la
culpabilité sexuelle. Ici on lapide la femme adultère, là on la voile
pour qu’elle perde son pouvoir, dans d’autres temps on la
rasait pour avoir aimé en temps de guerre. A chaque fois, elle est
seule à porter le poids du désir, du plaisir, de l’union des corps et de
ce qui reste, malgré tout, la chose la plus
« naturelle » qui soit, puisque inhérente à notre nature, à notre
physiologie.
N’oublions
pas que tout est affaire de culture. Les Inuits pratiquent une
sexualité que nous qualifierions d’échangiste. Et
pourtant chez eux, changer de femme avec celle d’un autre homme est
une très grande marque d’estime et de confiance. Ce sont même des
pratiques qui vont renforcer le lien social, car les familles
impliquées seront désormais considérées comme parentes et les
enfants comme frères et sœurs. On s’en doute, ce type de pratiques ne
sera pas, chez nous, du genre à renforcer le lien social, mais
plutôt source de zizanie !
En
somme, au-delà des conventions et des dictats de la morale, combien de
couples aujourd’hui sont capables d’être ce lieu où
peuvent s’exprimer tous les fantasmes, tous les besoins profonds,
toutes les dimensions de la sexualité, sans se sentir brimé, en danger,
renié, jugé ? Combien d’hommes et de femmes sont
réellement capables d’aimer leur corps dans le plaisir, sans renier
ce plaisir partagé, et d’aimer leur sexe, cet organe sujet de tant de
convoitises quand il s’agit du sexe de l’autre, mais
pourtant si mal aimé quand il s’agit du sien ?
La
sexualité est donc cet espace où s’exprime une foule de
représentations, d’apprentissages, de vécus, de mémoires, qui sont
la somme plus ou moins consciente de nos expériences passées. Notre
corps est le lieu où s'expriment plusieurs langages : celui de la
biologie, des émotions, de la pensée ou de la symbolique. Il
devient ainsi à notre insu porteur de multiples significations liées
à une culture et à un contexte. Et il est langage parce que c’est en
lui que se dépose la parole de nos parents, de nos
ancêtres, et c’est par lui aussi que nous exprimons un langage
inconscient, fruit de nos interdits et de nos désirs refoulés.
ALLER VERS SOI POUR CONNAÎTRE SON DESIR
Si
la sexualité nous oblige à comprendre dans quel contexte nous avons été
élevés, elle nous oblige aussi à nous rapprocher
de nous-mêmes, pour être à l’écoute de notre ressenti, de nos
émotions. Car la première condition à une sexualité épanouie, c’est de
pouvoir être en accord avec son ressenti. Encore faut-il être
en contact avec son intime, avec ce qui vibre en soi, ce qui nous
rend vivant. Là aussi, habitués que nous sommes à répondre à des
injonctions inconscientes, il nous est parfois difficile de
connaître notre désir profond.
La
société fait d’ailleurs tout pour nous induire en erreur, afin de nous
rendre consommateurs et dépendants. Pour cela, elle
édifie des modèles qu’elle sacralise, valorise, pour en faire une
norme recherchée, bien loin de la réalité humaine. C’est ainsi que nous
sommes amenés à consommer ce que la société
valorise : les marchandises, mais aussi les êtres humains qui
correspondent aux modèles valorisés. : femmes aux corps de rêve, au
profil de « wonderwoman », hommes puissants
ou protecteurs, eux aussi aux corps parfaits. Ces injonctions
peuvent nous paraître complètement étrangères, rendues inconscientes par
des messages quasi subliminaux véhiculés par certaines
publicités, ou des messages on ne peut plus clairs imposés par les
affiches géantes recouvrant les murs de la cité, ou les photos inondant
les magazines.
La
meilleure façon aujourd’hui d’assujettir les êtres humains, c’est
d’agir sur leur image. En valorisant des idéaux
quasiment impossible à atteindre, on maintient les gens dans la
souffrance, dans une infériorité qui touche le plus profond de leur
être, puisqu’il s’agit du désir, du sexe et de l’amour.
Or
le corps de rêve, ce n’est pas le corps du désir. En cherchant à
posséder un idéal, on risque de ne pas répondre à ses
besoins. Ce ne sont pas des proportions parfaites qui rendent une
personne désirable, mais son être, sa façon d’être, sa sensualité qui
affleure, sa sensibilité qu’elle veut bien offrir. Ce qui
rend l’autre désirable, ce sera aussi toujours cette part de
mystère, sur laquelle on ne pourra pas mettre de mots, car cela échappe à
toute logique, à toute justification, à toute rationalité.
Car le désir qui entre en nous, c’est la vie qui entre, qui circule,
qui nous met en mouvement et qui nous échappe totalement. A ce niveau,
nous pouvons imaginer à quel point la vie s’accommode
assez mal de la morale, et comme la morale peut parfois mal
s’accommoder de la vie !
Nous
sommes là au cœur de notre problématique. Est-ce que nous répondons aux
schémas imposés, appris, ou bien sommes-nous en
contact avec notre être intérieur, qui seul peut nous guider ?
Est-ce que nous sommes dans la satisfaction des besoins qu’exigent notre
ego, notre image, notre statut social, ou bien
essayons-nous de trouver ce qui nous nourrit, ce qui nous comble, ce
qui nous agrandit ?
Pour
trouver sa réponse, il faut être à l’écoute de soi, prendre la peine de
savoir qui l’on est, s’arrêter sur ses
sensations, ses émotions, ses ressentis, prendre le temps de
s’explorer de l’intérieur. Cette descente en soi, qui va permettre de
retrouver l’être que l’on est, qui va permettre d’adhérer à ce
que nous sommes, est aussi ce qui va nous donner la capacité d’aller
vers les autres. Point de retrouvailles avec l’autre si nous ne sommes
pas capables d’avoir des retrouvailles avec nous-mêmes.
C’est dans la réconciliation avec soi, dans l’acceptation de ce que
nous sommes, que nous pourrons nous offrir à l’autre. Car la sexualité
suppose que le plaisir éprouvé soit partagé, montré,
« offert ». Et comment pouvons-nous le faire, si nous ne sommes pas
déjà capables de nous l’offrir à nous-mêmes ?
L’Amoureux : l’incarnation du désir et du choix
La
sixième lame du tarot représente un homme au milieu de deux
personnages : une jeune femme dont l’une des mains pointe
son cœur, et un autre personnage, plus sévère, qui lui pose la main
sur l’épaule. Au dessus d’eux, Cupidon, prêt à décocher sa flèche.
Cette carte évoque le couple, c’est à dire la première dualité et parle du désir, du choix et de la quête intérieure. Pour
l’aspirant, pour l’Amoureux, il s’agit de choisir entre la raison et l’amour, entre la voie profane ou la voie sacrée.
Cette
carte nous montre un Amoureux serein, car il a la main à la ceinture.
La ceinture est signe de force et de pouvoir,
symbole de protection, de purification. Elle est portée sur les
reins qui, selon la Bible, symbolisent la puissance, la force et la
justice. Le voyageur qui la portait montrait ainsi qu’il était
prêt à affronter le danger. C’est aussi ce qui attend symboliquement
l’Amoureux qui doit se positionner, choisir sa voie, car devant lui
s’ouvrent deux chemins et il a un pied sur chaque. Dans
certaines cartes du Tarot, l’Amoureux est représenté avec une jambe
rouge et une jambe bleue, pour bien montrer cette dualité.
C’est
une carte qui relie le charnel et le spirituel, car L’Amoureux qui
s’engage sur la voie de l’amour et du sacré a écouté
ses désirs. Les désirs sont une voie de l’éveil, un moteur pour
accéder à notre voie. Ils sont reliés au cœur par le biais des émotions,
car pour s’engager, il faut faire descendre l’énergie du
3ème chakra (plexus solaire), dans l’énergie du 2ème chakra, qui est
le lieu de la sensualité, de la dualité homme/femme, là où s’incarne le
verbe « je désire » et qui nous questionne
sur « comment je suis désiré ». La terre labourée que l’on aperçoit
derrière les personnages signifie que pour en arriver là, il faut avoir
fait un travail psychologique et
spirituel.
Cupidon, qui est placé dans le soleil (3ème chakra), attend que l’homme fasse un choix. Ce n’est qu’après qu’il interviendra
en sa faveur, répondant ainsi à l’adage « pose la première pierre et le ciel t’aidera ».
L’énergie des reins
L'énergie sexuelle, située au niveau des reins, est bien souvent méconnue et le creuset de formidables ressources à explorer
pour atteindre des états de bien-être et les sublimer.
Par
des méditations, des respirations (pranayama), des exercices de Qi Gong
Taoïste, l'énergie peut se libérer, être
canalisée et s'amplifier à travers le corps et les différents
organes. Reliée à l'ouverture du Cœur et de l'Esprit, selon l'Alchimie
Taoïste, elle apporte une réelle transformation de l'Etre dans
sa globalité.
VIVRE SA SEXUALITE POUR TOUCHER AU SACRE
Rappelons
que le sacré n’est pas le religieux, mais qu’étymologiquement, le sacré
est ce qui est « mis à part »,
écarté du vulgaire, car n’est devenu vulgaire, profane que ce qui
s’est séparé du sacré. Annick de Souzenelle, psychothérapeute
spécialisée dans le symbolisme du corps humain et la Kabbale, nous
rappelle que le mot « secret », qui vient du latin « secernere »,
veut dire mettre à part. La symbolique de l’arbre des Séphiroth, l’arbre
de vie qui représente dix énergies
divines, dix archétypes, se superpose au schéma corporel.
« Yesod »,
que l’on pourrait situer au niveau du second chakra, signifie « le
fondement » et correspond à
la sexualité. « Yesod » contient lui aussi la racine « sod », qui
signifie « secret », qui participe du « sacré ». C’est Yesod qui donne
naissance aux
premières vertèbres de la colonne vertébrale qui sont justement
appelées « sacrées ». Toute fonction liée à ce niveau est sacrée. S’il y
a eu une désacralisation de la sexualité, la
responsabilité en revient à la religion qui a décrété que la
procréation était sa seule finalité. Pourtant, A. de Souzenelle nous dit
de ne pas oublier que « Yesod » est « l’entrée
de la chambre nuptiale, sanctuaire où s’accomplissent les noces
secrètes de l’homme et de la femme. » (7)
Il
est en effet intéressant, de voir que cette partie anatomique de l’être
humain, la zone génitale, le bas des reins, si
souvent dépréciée, si loin de notre tête qui maîtrise tout, soit
associée à ce caractère sacré et qu’on ait justement nommé les vertèbres
qui s’y trouvent « sacrées ». Il est encore
plus remarquable de savoir que la Tradition rapporte que le mot
« Luz », dont tous les dérivés dans notre langue signifient « lumière »,
est attribué à un os à la base de la
colonne vertébrale, très dur, indestructible, où l’âme demeurerait
même après la mort. Ainsi le sacrum représente l’Arbre en germe, et
c’est par le déploiement de la Kundalini que cette zone
s’éveille pour atteindre les divers chakras jusqu’au troisième œil.
Cela signifie que cette zone ne doit nullement rester endormie, mais qu’elle demande à être vécue avec justesse. Car, nous
dit A. de Souzenelle, « toute ascèse qui serait écrasement est fausse ; tout refus d’ascèse est également faux. »
Ce
« sanctuaire où s’accomplit les noces secrètes », est une idée reprise
dans tous les écrits et les travaux
parlant d’alchimie. L’Oeuvre dont parlent les alchimistes, est un
processus qui reprend perpétuellement les épousailles comme moyen
d’atteindre « la pierre philosophale »,
« opération par laquelle la femme se transforme en homme et l’homme
en femme et où il ne font plus qu’un. » (8) C’est la réunion des
éléments originels, Sulphur et Mercurius, qui
forment alors un être androgyne, pour accéder à une unité plus
haute. L’homme et la femme forment un couple d’opposés, ils vont
ensemble reformer l’unité primitive de l’amour.
Car
Eve fut créée de l’essence d’Adam, c’est à dire de l’aspect féminin de
son être. Le but de l’existence terrestre serait
la réunion des deux aspects opposés. La voie qui y mène passe alors
par les sens et l’assouvissement de la sexualité, « ce à quoi font
obstacle les fausses doctrines morales et le dogmatisme
religieux qui est un instrument de répression sexuelle. » (9)
N’oublions
pas que Eros est une pulsion de vie. Si Freud a tenté de libérer les
énergies sexuelles qui y étaient associées,
il n’a pas perçu, selon A. de Souzenelle, les énergies les plus
hautes qui y étaient aussi refoulées, à savoir les énergies
spirituelles, en tant que conscience qui permet de participer à un
nouveau champ du réel. Dans sa quête, l’Homme est « aujourd’hui à la
recherche d’une qualité de l’éros qui ne peut s’investir que dans le
spirituel et qui resacralisera la sexualité ».
(10)
Nous
sommes tous très fragiles quand il s'agit d'évoquer notre sexualité,
aussi est-il essentiel de communiquer avec respect,
compréhension et égards. Pour commencer, il faut doucement revenir à
la notion de « corps sensoriel », centre d’échanges intimes, et non de
possessions, avec cette vision selon laquelle
une expérience sensuelle raffinée a plus de prix que le brusque
soulagement d’un besoin. C’est redonner sa place à l’érotisme, plutôt
qu’à une simple sexualité. Mais pour cela, il faut être en
contact avec quelque chose d’essentiel : l’intimité. L’intimité avec
soi, et l’intimité avec l’autre, ce qui est un luxe affectif que tout
le monde ne connaît pas. L’intimité, vécue, non
reniée, est ce qui va nourrir affectivement le couple et sa
sexualité. Dans l’intimité, nous pouvons rester vivants. Et c’est bien
cette sensation d’être vivants, qui nous garde au cœur de la vie
et nous invite à une autre conscience. La conscience de faire partie
d’un tout, sans être séparé.
Dans
cette symbolique qui fait de l’homme le soleil ou le ciel, de la femme
la lune ou la terre, la sexualité est ce qui va
permettre de relier l’un à l’autre notre ciel et notre terre, en
traversant notre chair pour illuminer notre cœur jusqu’à notre âme et
nous faire grandir à l’infini.
Michèle THÉRON
Praticienne de santé naturopathe
(1) Jean-Michel Fitremann, in Psychologies n° 227, auteur de « ABC de la sexualité », Grancher
(2) F. Dolto, in L’image inconsciente du corps, 1984
(3), (4), cités par E.M. LIPIANSKY, in L'identité, Ed. Sciences Humaines
(5)
Voir l’ouvrage de Yves Semen, "La sexualité selon Jean Paul II", qui
transmet l’enseignement que le Pape a appelé une
"théologie du corps" au cours de 130 conférences sur ce sujet.
L’auteur y fait paraît-il découvrir combien la pensée de Jean Paul II
est libératrice, chassant définitivement de la morale
catholique toute condamnation de la sexualité et toute méfiance à
son égard. A découvrir donc… pour en juger par soi-même.
(6) S. de Beauvoir, in Le deuxième sexe, II, Gallimard
(7) A. de Souzenelle, in Le Symbolisme du corps humain, Albin Michel
(8) Michel Maier, 1618, cité dans Alchimie et mystique
(9) Alexander Roob, in Alchimie et mystique, Taschen
(10), A. de Souzenelle, in Le sens du sacré, Question de , Albin Michel
Bibliographie
- L'Un n'empêche pas l'autre, La voie de l'amoureux, Arouna Lipschitz, Editions Le Souffle d'Or
- Le sens du sacré, Collectif, Ed. A. Michel
- Eloge de l’intimité, Willy Pasini, Payot
- Une passion entre Ciel et Chair, Christiane Singer
- Le choc amoureux, Franscesco Alberoni
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