Lorsque nous entreprenons de
faire du yoga, du tai chi, de la méditation, enfin toutes techniques
dites de relaxation, nous y allons dans le but de nous assouplir, de
maîtriser les énergies, de devenir plus calme et plus serein. En
définitive, nous y allons pour quelque chose, avec un projet bien
précis. Nous n’y allons pas dans une ouverture, dans un "je ne sais
pas", mais avec une image en vogue, une idée de devenir.
D’ailleurs, on nous a dit tous les bienfaits que ces pratiques pouvaient nous apporter, on l’a lu aussi dans telle revue, dans tel livre, « pratiquez le yoga, cela vous amènera à la tranquillité », « qui ne fait pas l’effort de méditer chaque jour un tant soi peu, …(une heure le matin et une heure le soir), ne saura jamais ce qu’est l’illumination. », « pratiquez le tai chi, devenez des assidus, et vous découvrirez votre vraie nature. »
Nous y croyons à ces injonctions, ces ordres. Pourquoi y croyons-nous ? Parce que nous avons cette certitude que celui ou celle qui les a dit ou écrit est bien plus qualifié que nous, il en sait évidemment plus que nous, et nous en déduisons sans l’avoir vérifié que ce qu’il dit est incontestablement la vérité. La Seule Vérité. Nous y tenons à cette vérité. D’ailleurs, nous y tenons tellement – et cela par besoin de sécurité – que progressivement, nous nous enfermons dans cette idée et nous en devenons des intégristes "hors de cela, point de salut". Nous construisons une "carapace" supplémentaire : la carapace du yoga : réaliser une posture parfaite, avoir un souffle régulier, inaltérable, léger, fluide. Celle du tai chi : faire un enchaînement où chaque geste est imprégné par l’énergie, où nous aurons maîtrisé l’enracinement et le lien au ciel. Celle de la méditation : être assis en tailleur ou les jambes croisées, et nous faisons le vide, cherchant à éliminer toutes traces de pensées.
Et cependant inconsciemment, dans toutes ces tentatives, nous favorisons le contrôle : celui du corps, celui des énergies et des émotions, celui de la pensée. Ainsi croyant faire le vide, imaginant devenir un être paisible grâce à l’unique pratique qui permet d’atteindre l’illumination, nous cherchons à faire taire toutes émotions susceptibles de mettre en branle cette recherche de paix.
Mais voilà que quelques heures après notre discipline, un événement nous met hors de nous. Notre compagnon nous agace, notre enfant n’écoute pas, un automobiliste nous coupe la priorité, notre collègue de travail est en retard… Nous rentrons chez nous, notre émotion est à son comble, elle nous envahit. Très rapidement, et par une habitude radicalement automatique, notre mental nous rappelle l’injonction : être en paix est la plus haute des vertus…
Nous voilà repartis dans notre chambre. Nous nous asseyons, nous prenons la position bien apprise : bien droit, le menton légèrement rentré, et nous voilà reparti, sans le savoir le fusil à l’épaule, à éliminer cette émotion incongrue et totalement déplacée. Nous faisons bien le vide… Ouf, nous sommes de nouveau en paix !
Nous n’écoutons pas l’émotion, non, nous la faisons taire, elle n’est pas à la hauteur de la tranquillité que nous prétendons devenir. Nous intervenons, car nous sommes intimement persuadés que notre intervention sera bénéfique, et que grâce à elle, nous aurons rapatrié la paix.
Le contrôle devient de plus en plus fort, nous arrivons de plus en plus vite à nous retrouver en paix et nous louons le yoga untel, le tai chi du maître chen, la méditation zen. Et nous allons jusqu’à conseiller à notre entourage que nous trouvons surmené de faire ce yoga, cette technique si merveilleuse qui nous procure paix et silence. Et afin que notre vie soit un modèle exemplaire, nous ne fumons pas, ne buvons pas, car nous deviendrions dépendants de ces consommations vulgaires et pour clôturer le tout, nous mangeons bio et équilibré. La liste est complète, nous atteindrons l’éveil.
Mais cependant, sans nous en apercevoir, nous disons silence à nos émotions. Non, plutôt nous imposons le silence à notre révolte, notre colère, nos insatisfactions, nos sautes d’humeurs, notre ras le bol de ce dressage dans lequel nous ne respirons plus. Nous le voyons : nous surimposons un autre schéma, nous construisons une image de plus concernant ce que nous devrions être, un masque, une apparence. Car nous croyons savoir fermement ce que nous devrions être.
Et nous taisons un peu plus chaque jour ce qui se vit en nous, sans nous rendre compte que c’est peut-être de toutes, la violence la plus intransigeante envers nous-mêmes. Qu’est-ce que nous taisons : la vie et ses mouvements inattendus.
Le contrôle grandit, grandit jusqu’à devenir un bloc énergétique. Tous nos organes, notre psychisme et nos émotions sont entourés par ce bloc. Et nous devenons tout doucement des psychorigides. Rigides du cœur, de l’émotion, de ce qui doit être, du mental.
Et certes, nous ne découvrons pas la paix réelle, mais un schéma de paix, un concept : la paix, c’est de faire taire nos émotions et nos pensées. Notre visage se durcit, comme une seconde peau qui empêche la sensibilité vivante de se laisser révéler. Mais nous avons tellement peur de ce qu’elle pourrait nous révéler, que nous préférons encore rester dans un masque de paix.
Nous sommes convaincus qu'être en paix se caractérise par un comportement extérieur et intérieur bien précis : ne plus avoir d'émotions (qui, dans le réel, correspond à : faire taire les émotions), être paisible (synonyme de "ne plus avoir d'émotions")... Faire taire les émotions, et je me coupe du corps. Alors que je suis intimement persuadé du contraire : je me dis être aimant, dans la sensibilité, dans le corps, même à l'écoute du corps... Le scénario que j'ai construit me colle tellement à la peau, j'y suis tellement identifié que j'en deviens aveugle et ne vois pas le contrôle que cela entraîne.
Nous pouvons en être sûr, la cocotte minute bien fermée chauffe de plus en plus fort. Et si par inadvertance nous la sentons chauffer, nous rajoutons une seconde couche de métal pour verrouiller un peu plus, et une troisième si cela s’avère indispensable.
Enfin, selon l’heure du rendez-vous avec nous-mêmes, la cocotte minute explosera bien en face de nous et selon notre enfermement en plusieurs fois et en plusieurs temps. Et alors que ces moments sont des réels moments de grâce, nous les prenons pour des catastrophes et des échecs. Comme une percée en nous-mêmes, et au lieu de remercier, nous parlons d’injustice. Alors même que cette soi-disant injustice a permis une brèche dans ce bloc de certitudes et de savoir.
Nous le constatons avec sollicitude : si nous ne sommes pas déjà installés dans une Écoute libre de tout devenir quand nous commençons ce type de techniques, nous pouvons facilement nous y emprisonner jusqu’à nous nier.
Mais tout cela : le contrôle, l’enfermement, nos idées empruntées, nous ne les voyons pas. Nous n’en avons même pas conscience de sorte que nous ne pensons même pas être dans ce cas de figure. Et nous nous pensons proche de l’humilité, nous pensons avoir fait du chemin, être déjà arrivé à une compréhension certaine.
La question qui me vient à l’instant est : qu’est-ce qui nous empêche de prendre conscience de cela ? Non, plutôt, qu’est-ce qui nous fait si peur ?… Peut-être n’est-ce pas le moment opportun ?... Cependant, qu’est-ce qui nous effraie au point de rester dans cette illusion de paix ? Sachant que ce qui nous effraie est en nous-mêmes, non pas à l’extérieur. Car si nous n’avions pas de peur à ce niveau, nous serions profondément libre d’idées et de certitudes.
Oui, je repose cette question qui me semble primordiale : qu’est-ce qui nous effraie au point de rester dans cette illusion de paix ?
Cette question. La considérons-nous vraiment ? Nous y arrêterons-nous ? Nous pourrions répondre avec empressement, la survoler. Nous pourrions nous dire : « c’est une partie de moi qui a peur de déverrouiller et peur que ça explose ». Mais pourtant si nous écoutons, nous sentirons que nous ne sommes pas vraiment convaincus : cette partie n’est pas localisée dans notre corps-psychisme, non c’est tout notre corps-psychisme qui est pris dans ce bloc. Ce n’est pas dans la poitrine, dans une épaule, dans un système de pensée, c’est tout. Tout est devenu un bloc.
Tout sauf le Regard.
Le contrôle nous ramène au Regard.
De quel Regard s’agit-il ? Comment peut-il se produire ? Quelle est l’attitude intérieure qui le favorise ? Le fait de nous rendre compte, de voir le mécanisme, en conscience. Alors nous ne collons plus à ce contrôle, puisque nous le voyons, comme lorsque nous parlons de nous : « hier, je me suis mis en colère… », bien que notre façon de nous raconter soit souvent teintée de jugements. En fait, cette approche nous demande d’apprendre à nous déséduquer : regarder notre fonctionnement sans l’once d’un sentiment jugeant. Car nous savons nous regarder, mais notre façon de nous regarder est imprégnée d’idées reçues : « c’est bien, c’est mal, il ne faut pas faire cela, tu dois faire comme ceci… » La liste est longue.
Réapprendre à nous regarder sans la liste.
Nous laisser nous rappeler ce Regard vide de jugements qui est nous-même dans ce nous sans condition, vide d’attentes de résultats, sans demande, pas même celle d’être autrement, pas même celle de nous améliorer.
Nous regarder à travers ce Regard, regarder cette fortification construite par ignorance : nous ne savions pas. Il n’y a pas de critiques à porter sur ce fait : nous ne savions pas. Ce contrôle est notre protection envers nos propres émotions sur lesquelles nous avons surimposé des idées d’inaccessibilité parce que trop de douleurs.
Le contrôle nous ramène au Regard, à cette présence inaltérable qui est nous-même.
Ainsi, il s’agira plutôt, par ce Regard (qui est Écoute et Perception), de découvrir les fabrications mentales dans lesquelles nous vivons. Nous ne sommes plus dans l’écoute pour libérer ou guérir, mais par passion, sans but à la clef. Là, nous n’ajoutons plus de nouvelle carapace, mais par cette écoute nous défaisons, à l’image d’un chantier en démolition.
Nous allons nous rendre compte dans ces temps d’Écoute - qui peuvent se présenter lors d’une pratique - que le chantier ne peut être qu’en démolition. Ces temps d’Écoute progressivement vont apparaître dans la journée, alors que nous sommes avec notre enfant qui n’écoute pas ou notre conjoint qui nous agace. Cela va devenir une sorte de passion, la passion de regarder, d’écouter sans idée, la passion de ressentir.
Nous allons comprendre profondément que nous ne pouvons être qu’en chantier de démolition car nous le voyons maintenant, notre mental recherchera à nouveau par tous les moyens de se sécuriser par des certitudes qui tuent le vivant, la perception. Nous le voyons clairement : ce que le mental construit est voué tôt ou tard à disparaître. Une idée change, un point de vue en fait place à un autre, un jugement sera retourné en son contraire. Là, nous découvrons ce besoin effréné de toujours nous sécuriser par des conclusions.
Nous nous installons dans le fait de regarder. Nous pourrions dire que ce qui regarde en nous demeure, est immobile sans immobilité, silencieux, paisible, présence permanente.
Nous ne ferons plus du tai chi ou de la méditation sans ce que notre intérieur aimerait nous dévoiler de ces doutes, de ces manques de confiance, de sa peur du manque, de sa peur d’être séparé, de son sentiment d’isolement. Non, nous ferons le tai chi avec notre intérieur, avec nos peurs et nos doutes.
L’énergie soulève le bras gauche, nous sentons comment ce bras vit l’abandon à l’énergie. S’abandonne-t-il ? A-t-il peur de s’abandonner ? Serait-ce un soulagement pour lui que de se sentir enfin porté par cette énergie, présence impersonnelle qui ne l’a jamais délaissé ? Nous comprenons alors combien il est essentiel de nous rappeler à nous-même cette autre façon de regarder, afin d’accompagner en nous-même notre corps-psychisme à redécouvrir ce Regard, cette Écoute.
Là, nous nous rendons compte intimement que c’est nous dans ce petit nous, dans ce nous-séparé, qui avons cru et qui croyons encore avoir été abandonné. L’évidence survient, dans l’instant : c’est une histoire à laquelle nous avons adhéré et que nous avons nourrie et entretenue sans même regarder clairement ce qu’il en est réellement.
Chacun de ces moments sera offert à ce rappel : nous n’avons jamais été abandonné par cette Présence en nous impossible à définir. Elle ne nous a jamais quitté. Nous pourrions le dire autrement : nous ne nous sommes jamais quitté. Le lien se crée à nouveau : rien en nous n’est séparé. Et si nous sentons un espace isolé, tout en restant dans cette Écoute libre d’intention, libre d’amener cette partie vers l'Écoute, sans l’idée que nous puissions convaincre cette partie de retourner dans ce nous-Regard aimant, nous laissons à cet espace isolé le temps de découvrir, de se rendre compte par lui-même si c’est son heure, car nous savons que cela ne dépend pas de nous-intention mais uniquement de lui. Nous laissons la liberté à cet espace isolé de se retourner vers ce nous-Regard.
Seul ce Regard non intentionnel, vide d’idées nous ouvre à l’ouverture ; par sa non-action volontaire, et cependant agissant par sa disponibilité libre de mobiles, ces différentes parties en nous s’abandonnent en lui. Il n’y a plus de séparation. »
Hélène Naudy
D’ailleurs, on nous a dit tous les bienfaits que ces pratiques pouvaient nous apporter, on l’a lu aussi dans telle revue, dans tel livre, « pratiquez le yoga, cela vous amènera à la tranquillité », « qui ne fait pas l’effort de méditer chaque jour un tant soi peu, …(une heure le matin et une heure le soir), ne saura jamais ce qu’est l’illumination. », « pratiquez le tai chi, devenez des assidus, et vous découvrirez votre vraie nature. »
Nous y croyons à ces injonctions, ces ordres. Pourquoi y croyons-nous ? Parce que nous avons cette certitude que celui ou celle qui les a dit ou écrit est bien plus qualifié que nous, il en sait évidemment plus que nous, et nous en déduisons sans l’avoir vérifié que ce qu’il dit est incontestablement la vérité. La Seule Vérité. Nous y tenons à cette vérité. D’ailleurs, nous y tenons tellement – et cela par besoin de sécurité – que progressivement, nous nous enfermons dans cette idée et nous en devenons des intégristes "hors de cela, point de salut". Nous construisons une "carapace" supplémentaire : la carapace du yoga : réaliser une posture parfaite, avoir un souffle régulier, inaltérable, léger, fluide. Celle du tai chi : faire un enchaînement où chaque geste est imprégné par l’énergie, où nous aurons maîtrisé l’enracinement et le lien au ciel. Celle de la méditation : être assis en tailleur ou les jambes croisées, et nous faisons le vide, cherchant à éliminer toutes traces de pensées.
Et cependant inconsciemment, dans toutes ces tentatives, nous favorisons le contrôle : celui du corps, celui des énergies et des émotions, celui de la pensée. Ainsi croyant faire le vide, imaginant devenir un être paisible grâce à l’unique pratique qui permet d’atteindre l’illumination, nous cherchons à faire taire toutes émotions susceptibles de mettre en branle cette recherche de paix.
Mais voilà que quelques heures après notre discipline, un événement nous met hors de nous. Notre compagnon nous agace, notre enfant n’écoute pas, un automobiliste nous coupe la priorité, notre collègue de travail est en retard… Nous rentrons chez nous, notre émotion est à son comble, elle nous envahit. Très rapidement, et par une habitude radicalement automatique, notre mental nous rappelle l’injonction : être en paix est la plus haute des vertus…
Nous voilà repartis dans notre chambre. Nous nous asseyons, nous prenons la position bien apprise : bien droit, le menton légèrement rentré, et nous voilà reparti, sans le savoir le fusil à l’épaule, à éliminer cette émotion incongrue et totalement déplacée. Nous faisons bien le vide… Ouf, nous sommes de nouveau en paix !
Nous n’écoutons pas l’émotion, non, nous la faisons taire, elle n’est pas à la hauteur de la tranquillité que nous prétendons devenir. Nous intervenons, car nous sommes intimement persuadés que notre intervention sera bénéfique, et que grâce à elle, nous aurons rapatrié la paix.
Le contrôle devient de plus en plus fort, nous arrivons de plus en plus vite à nous retrouver en paix et nous louons le yoga untel, le tai chi du maître chen, la méditation zen. Et nous allons jusqu’à conseiller à notre entourage que nous trouvons surmené de faire ce yoga, cette technique si merveilleuse qui nous procure paix et silence. Et afin que notre vie soit un modèle exemplaire, nous ne fumons pas, ne buvons pas, car nous deviendrions dépendants de ces consommations vulgaires et pour clôturer le tout, nous mangeons bio et équilibré. La liste est complète, nous atteindrons l’éveil.
Mais cependant, sans nous en apercevoir, nous disons silence à nos émotions. Non, plutôt nous imposons le silence à notre révolte, notre colère, nos insatisfactions, nos sautes d’humeurs, notre ras le bol de ce dressage dans lequel nous ne respirons plus. Nous le voyons : nous surimposons un autre schéma, nous construisons une image de plus concernant ce que nous devrions être, un masque, une apparence. Car nous croyons savoir fermement ce que nous devrions être.
Et nous taisons un peu plus chaque jour ce qui se vit en nous, sans nous rendre compte que c’est peut-être de toutes, la violence la plus intransigeante envers nous-mêmes. Qu’est-ce que nous taisons : la vie et ses mouvements inattendus.
Le contrôle grandit, grandit jusqu’à devenir un bloc énergétique. Tous nos organes, notre psychisme et nos émotions sont entourés par ce bloc. Et nous devenons tout doucement des psychorigides. Rigides du cœur, de l’émotion, de ce qui doit être, du mental.
Et certes, nous ne découvrons pas la paix réelle, mais un schéma de paix, un concept : la paix, c’est de faire taire nos émotions et nos pensées. Notre visage se durcit, comme une seconde peau qui empêche la sensibilité vivante de se laisser révéler. Mais nous avons tellement peur de ce qu’elle pourrait nous révéler, que nous préférons encore rester dans un masque de paix.
Nous sommes convaincus qu'être en paix se caractérise par un comportement extérieur et intérieur bien précis : ne plus avoir d'émotions (qui, dans le réel, correspond à : faire taire les émotions), être paisible (synonyme de "ne plus avoir d'émotions")... Faire taire les émotions, et je me coupe du corps. Alors que je suis intimement persuadé du contraire : je me dis être aimant, dans la sensibilité, dans le corps, même à l'écoute du corps... Le scénario que j'ai construit me colle tellement à la peau, j'y suis tellement identifié que j'en deviens aveugle et ne vois pas le contrôle que cela entraîne.
Nous pouvons en être sûr, la cocotte minute bien fermée chauffe de plus en plus fort. Et si par inadvertance nous la sentons chauffer, nous rajoutons une seconde couche de métal pour verrouiller un peu plus, et une troisième si cela s’avère indispensable.
Enfin, selon l’heure du rendez-vous avec nous-mêmes, la cocotte minute explosera bien en face de nous et selon notre enfermement en plusieurs fois et en plusieurs temps. Et alors que ces moments sont des réels moments de grâce, nous les prenons pour des catastrophes et des échecs. Comme une percée en nous-mêmes, et au lieu de remercier, nous parlons d’injustice. Alors même que cette soi-disant injustice a permis une brèche dans ce bloc de certitudes et de savoir.
Nous le constatons avec sollicitude : si nous ne sommes pas déjà installés dans une Écoute libre de tout devenir quand nous commençons ce type de techniques, nous pouvons facilement nous y emprisonner jusqu’à nous nier.
Mais tout cela : le contrôle, l’enfermement, nos idées empruntées, nous ne les voyons pas. Nous n’en avons même pas conscience de sorte que nous ne pensons même pas être dans ce cas de figure. Et nous nous pensons proche de l’humilité, nous pensons avoir fait du chemin, être déjà arrivé à une compréhension certaine.
La question qui me vient à l’instant est : qu’est-ce qui nous empêche de prendre conscience de cela ? Non, plutôt, qu’est-ce qui nous fait si peur ?… Peut-être n’est-ce pas le moment opportun ?... Cependant, qu’est-ce qui nous effraie au point de rester dans cette illusion de paix ? Sachant que ce qui nous effraie est en nous-mêmes, non pas à l’extérieur. Car si nous n’avions pas de peur à ce niveau, nous serions profondément libre d’idées et de certitudes.
Oui, je repose cette question qui me semble primordiale : qu’est-ce qui nous effraie au point de rester dans cette illusion de paix ?
Cette question. La considérons-nous vraiment ? Nous y arrêterons-nous ? Nous pourrions répondre avec empressement, la survoler. Nous pourrions nous dire : « c’est une partie de moi qui a peur de déverrouiller et peur que ça explose ». Mais pourtant si nous écoutons, nous sentirons que nous ne sommes pas vraiment convaincus : cette partie n’est pas localisée dans notre corps-psychisme, non c’est tout notre corps-psychisme qui est pris dans ce bloc. Ce n’est pas dans la poitrine, dans une épaule, dans un système de pensée, c’est tout. Tout est devenu un bloc.
Tout sauf le Regard.
Le contrôle nous ramène au Regard.
De quel Regard s’agit-il ? Comment peut-il se produire ? Quelle est l’attitude intérieure qui le favorise ? Le fait de nous rendre compte, de voir le mécanisme, en conscience. Alors nous ne collons plus à ce contrôle, puisque nous le voyons, comme lorsque nous parlons de nous : « hier, je me suis mis en colère… », bien que notre façon de nous raconter soit souvent teintée de jugements. En fait, cette approche nous demande d’apprendre à nous déséduquer : regarder notre fonctionnement sans l’once d’un sentiment jugeant. Car nous savons nous regarder, mais notre façon de nous regarder est imprégnée d’idées reçues : « c’est bien, c’est mal, il ne faut pas faire cela, tu dois faire comme ceci… » La liste est longue.
Réapprendre à nous regarder sans la liste.
Nous laisser nous rappeler ce Regard vide de jugements qui est nous-même dans ce nous sans condition, vide d’attentes de résultats, sans demande, pas même celle d’être autrement, pas même celle de nous améliorer.
Nous regarder à travers ce Regard, regarder cette fortification construite par ignorance : nous ne savions pas. Il n’y a pas de critiques à porter sur ce fait : nous ne savions pas. Ce contrôle est notre protection envers nos propres émotions sur lesquelles nous avons surimposé des idées d’inaccessibilité parce que trop de douleurs.
Le contrôle nous ramène au Regard, à cette présence inaltérable qui est nous-même.
Ainsi, il s’agira plutôt, par ce Regard (qui est Écoute et Perception), de découvrir les fabrications mentales dans lesquelles nous vivons. Nous ne sommes plus dans l’écoute pour libérer ou guérir, mais par passion, sans but à la clef. Là, nous n’ajoutons plus de nouvelle carapace, mais par cette écoute nous défaisons, à l’image d’un chantier en démolition.
Nous allons nous rendre compte dans ces temps d’Écoute - qui peuvent se présenter lors d’une pratique - que le chantier ne peut être qu’en démolition. Ces temps d’Écoute progressivement vont apparaître dans la journée, alors que nous sommes avec notre enfant qui n’écoute pas ou notre conjoint qui nous agace. Cela va devenir une sorte de passion, la passion de regarder, d’écouter sans idée, la passion de ressentir.
Nous allons comprendre profondément que nous ne pouvons être qu’en chantier de démolition car nous le voyons maintenant, notre mental recherchera à nouveau par tous les moyens de se sécuriser par des certitudes qui tuent le vivant, la perception. Nous le voyons clairement : ce que le mental construit est voué tôt ou tard à disparaître. Une idée change, un point de vue en fait place à un autre, un jugement sera retourné en son contraire. Là, nous découvrons ce besoin effréné de toujours nous sécuriser par des conclusions.
Nous nous installons dans le fait de regarder. Nous pourrions dire que ce qui regarde en nous demeure, est immobile sans immobilité, silencieux, paisible, présence permanente.
Nous ne ferons plus du tai chi ou de la méditation sans ce que notre intérieur aimerait nous dévoiler de ces doutes, de ces manques de confiance, de sa peur du manque, de sa peur d’être séparé, de son sentiment d’isolement. Non, nous ferons le tai chi avec notre intérieur, avec nos peurs et nos doutes.
L’énergie soulève le bras gauche, nous sentons comment ce bras vit l’abandon à l’énergie. S’abandonne-t-il ? A-t-il peur de s’abandonner ? Serait-ce un soulagement pour lui que de se sentir enfin porté par cette énergie, présence impersonnelle qui ne l’a jamais délaissé ? Nous comprenons alors combien il est essentiel de nous rappeler à nous-même cette autre façon de regarder, afin d’accompagner en nous-même notre corps-psychisme à redécouvrir ce Regard, cette Écoute.
Là, nous nous rendons compte intimement que c’est nous dans ce petit nous, dans ce nous-séparé, qui avons cru et qui croyons encore avoir été abandonné. L’évidence survient, dans l’instant : c’est une histoire à laquelle nous avons adhéré et que nous avons nourrie et entretenue sans même regarder clairement ce qu’il en est réellement.
Chacun de ces moments sera offert à ce rappel : nous n’avons jamais été abandonné par cette Présence en nous impossible à définir. Elle ne nous a jamais quitté. Nous pourrions le dire autrement : nous ne nous sommes jamais quitté. Le lien se crée à nouveau : rien en nous n’est séparé. Et si nous sentons un espace isolé, tout en restant dans cette Écoute libre d’intention, libre d’amener cette partie vers l'Écoute, sans l’idée que nous puissions convaincre cette partie de retourner dans ce nous-Regard aimant, nous laissons à cet espace isolé le temps de découvrir, de se rendre compte par lui-même si c’est son heure, car nous savons que cela ne dépend pas de nous-intention mais uniquement de lui. Nous laissons la liberté à cet espace isolé de se retourner vers ce nous-Regard.
Seul ce Regard non intentionnel, vide d’idées nous ouvre à l’ouverture ; par sa non-action volontaire, et cependant agissant par sa disponibilité libre de mobiles, ces différentes parties en nous s’abandonnent en lui. Il n’y a plus de séparation. »
Hélène Naudy
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