Auteur du premier livre paru en français
sur les rêves lucides - Vivre ses rêves, en 1983 - Olivier Clerc
explique ici son cheminement vers la lucidité en rêve.
Après avoir entendu parler de « voyage astral » ou sortie hors du corps (OBE, en anglais), un phénomène au cours duquel la conscience se détache du corps et parvient à voyager dans ce monde et d'autres, je me suis efforcé durant des mois de sortir de mon corps. Les résultats furent pratiquement nuls, à part deux brèves sorties.
La première se produisit deux jours avant Noël, alors que je me trouvais dans un chalet, dans une station de ski du Valais. En plein milieu de la nuit, sans avertissement, je me suis réveillé… collé contre la plafond ! J’en distinguais clairement les planches de bois et, surpris par cette perspective inattendue, je me suis retourné… et me suis vu endormi dans mon lit, 2 m plus bas ! Malgré la connaissance que j’avais de cette expérience et l’envie qui m’animait d’enfin la vivre, je fus si surpris – choqué, presque – de me retrouver en pareille posture que je m’éveillai aussitôt, à la fois heureux et frustré.
Quelques mois plus tard, je fis une seconde brève sortie le matin, peu avant mon réveil. Je me réveillai dans mon double, dont je discernais clairement la couleur étrangement bleutée. J’étais dans une curieuse position, le corps relevé à 45° environ de la position allongée, avec les pieds de mon double au niveau de mes pieds physiques et la tête environ 1m au-dessus de ma tête physique. J’essayai vainement de bouger, sans crainte cette fois, mais finis par me réveiller dans mon corps physique.
Ces deux sorties, bien que courtes et peu actives, furent suffisamment marquantes pour me donner envie de poursuivre mes investigations. C'est alors qu'un ami m'indiqua que la meilleure manière de sortir de son corps consistait à devenir conscient dans ses rêves. J'ignorais qu'une telle chose était possible. Il me parla du fameux livre d'Hervey de Saint-Denis, Les rêves et les moyens de les diriger, paru en 1867, qui demeure à ce jour l'un des ouvrages de référence sur ce sujet. Par chance, il avait été réédité par Tchou et je pus me le procurer. Je découvris aussi Creative Dreaming, de Patricia Garfield, premier livre moderne à reparler du rêve lucide, traduit ultérieurement sous le titre de La créativité onirique.
En utilisant les méthodes préconisées par Hervey de Saint-Denis et Garfield, je parvins à avoir trois à quatre rêves lucides par mois, résultat que je jugeais insuffisant par rapport aux efforts mis en oeuvre. En effet, je ne perdais pas de vue mon objectif premier - sortir de mon corps - qui nécessitait une grande maîtrise du rêve lucide, difficile à atteindre à ce rythme-là.
À force de chercher comment augmenter la fréquence de mes rêves lucides, j'ai eu un jour une révélation aussi simple que déterminante. Il m'est clairement apparu que si je voulais devenir plus conscient dans ma vie nocturne, il fallait tout simplement que je commence par l'être bien davantage dans mon existence diurne. En effet, nos moments de pleine conscience, dans la journée, sont peu nombreux. Nous sommes continuellement absorbés par des activités dans lesquelles la conscience que nous avons de nous-mêmes, de notre environnement, des choix à notre disposition, de notre libre arbitre, est finalement très réduite. Nous avons rarement conscience d'être conscients, bien que la soi-conscience soit précisément ce qui distingue l'homme des animaux. A défaut de faire un effort délibéré dans ce sens, notre conscience opère le plus souvent en pilote automatique.
J'ai donc pris la décision de mettre tout en oeuvre pour augmenter mon niveau de conscience dans la journée, partant du principe que plus ma vie éveillée serait consciente, plus il y avait de chance que mes rêves soient lucides. L'idée qui m'est venue pour favoriser une telle augmentation de conscience était d'une simplicité déconcertante, mais elle s'est néanmoins révélée d'une efficacité plus que probante, apportant des résultats qui dépassèrent largement mes espérances.
Je me suis simplement écrit en gros la lettre « C », comme conscient, sur le dos de la main gauche, en prenant la résolution de marquer une pause de conscience chaque fois que je la verrais… c’est-à-dire très souvent dans la journée. Ces multiples pauses de conscience consistaient pour moi à prendre acte du lieu où j’étais, du fait que j’étais vivant, conscient, libre de choisir où aller, que faire, quoi penser. J’extrayais momentanément ma conscience de l’activité qui l’accaparaît pour la dilater dans le temps (conscience du passé, du présent, du futur) et dans l’espace (conscience du lieu, de la ville, du pays). Tout cela ne durait que quelques secondes, chaque fois. Mais la répétition de ces bouffées de conscience a fini par développer en moi une sorte de « rythme de conscience », alternant des moments d’investissement et de concentration dans une activité avec de moments de détachement et d’ouverture, de dilatation de la conscience.
Il ne m’a pas fallu une semaine avant que, spontanément, je me mette à faire des pauses de conscience… au beau milieu de mes rêves ! Sitôt que ma conscience se dilatait, je me rendais compte que je rêvais et je pouvais alors orienter mon rêve lucide comme bon me semblait. Ma fréquence de rêves lucides est ainsi passée de 3-4 par mois à 3-4 par semaine, voire davantage. Cette multiplication de mes rêves lucides m’a ainsi permis d’apprendre à les faire durer plus longtemps, à éviter leurs pièges (notamment le faux réveil), à multiplier les expériences… sans pour autant arriver à sortir plus souvent de mon corps, ce qui était ma motivation première. Le rêve lucide s’est rapidement avéré suffisamment passionnant en soi pour que je me désintéresse des sorties hors du corps, visiblement beaucoup plus difficiles à réussir (pour moi, du moins). Mais surtout, la méthode toute simple que j’avais inventée a changé ma qualité de vie à tous les niveaux. J’ai pris l’habitude d’insuffler de la conscience dans tout ce que je faisais, pratiquement partout et tout le temps. De même que l’apparition de la conscience en rêve se double d’une intensification spectaculaire des couleurs, des sons, des sensations, le fait d’instiller de la conscience dans les moindres faits et gestes de la vie éveillée lui fait acquérir une qualité insoupçonnée, comme j’en trouvai par la suite des descriptions dans divers ouvrages consacrés à ce sujet. Le rêve lucide se révélait finalement un bénéfice secondaire d’une méthode qui avait avant tout pour avantage de donner plus de relief et d’intensité à toute mon existence.
Le développement de la conscience est d’ailleurs devenu le fil rouge de ma vie, depuis 27 ans. Tous les ouvrages que j’ai écrits traitent en effet de cela : Vivre ses rêves (Hélios, 1983) de la conscience en rêve ; L’océan intérieur (Soleil, 1985) de la conscience libérée du corps, grâce aux caissons d’isolation sensorielle ; Médecine, religion et peur (Jouvence, 1998)1 rend conscient le champ religieux qui influence à son insu la médecine moderne ; Le tigre et l’araignée, les deux visages de la violence (Jouvence, 2004)2 fait prendre conscience de la face cachée de la violence (l’araignée) qui interagit étroitement avec la violence visible (le tigre) ; quant à La grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite (JC Lattès, 2005), il présente de nombreuses métaphores favorisant la prise de conscience des lents changements qui échappent à une conscience insuffisamment exercée, ou des phénomènes subtils et invisibles qui ont un impact pourtant déterminants sur notre vie concrète.
L’entraînement et le développement de la conscience sont l’un des points communs de toutes les pratiques spirituelles : conscience de soi, conscience du corps, conscience du langage, conscience de ses pensées, de ses émotions, d’autrui, etc. Au-delà de tout dogme, toute doctrine, toute idéologie, l’élargissement et l’accroissement de la conscience doivent donc être considérés comme un comportement fondateur de notre statut d’humain et comme un moteur indispensable à notre évolution.
La pratique du rêve lucide peut tout à fait s’inscrire dans cette démarche plus globale du développement de la conscience, comme l’enseignaient les Tibétains, les Toltèques et bien d’autres !
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