Dans son livre « Les neuf leçons du
guerrier maasaï », Xavier Péron revient sur une période difficile de sa
vie, pendant laquelle il s’est senti très seul et perdu. Un matin, il se
réveille d’un rêve dans lequel il revoit son frère d’âme maasaï, Kenny,
pour retrouver les pages de son cahier noircies de notes qui n’y
étaient pas avant son coucher. Des notes qui lui font comprendre
pourquoi nous devons tous, au cours de notre vie, faire face à des
difficultés...
m’enfonçai
confortablement face au feu, dans le fauteuil en rotin. Je le rouvris à
la bonne page, n’en revenant toujours pas que ce fût mon écriture.
Ainsi donc, j’aurais descendu l’escalier en pleine nuit, pris place à mon bureau, dessiné ces cercles, écrit ces mots sans que ma mémoire en eût gardé la moindre trace ?
Après tout, je n’en étais pas à une énigme près. La tête ailleurs, je bus une gorgée de mon thé favori et repris la lecture là où je l’avais laissée :... Tu n’es pas seul. Nul ne l’est. Le plaisir de l’être humain, c’est de partager. Je ne te blâme pas car je comprends très bien ce que tu as fait. Tu t’es dit « je vais vivre en ermite pour écrire tout ce que j’ai à dire, et après on verra ! ». Chez nous, tu le sais aussi bien que moi, nous dirions que c’est du suicide, que c’est antivie. Ne soit donc pas étonné si ta joie s’en est allée. Mais je te rassure, il n’y a rien de grave à cela, tu l’as juste mise entre parenthèses et tu vas la retrouver.
Car tu es demeuré un Occidental, que tu le veuilles ou non. Toi aussi, on t’a appris à être penché d’un seul côté, celui du mental. Pour t’en sortir, tu dois maintenant faire l’expérience d’une seule chose à la fois. C’est à cette condition que ce que tu apprendras ne restera pas à l’état de principe et s’intégrera dans ton essence intime. Les principes on le sait se heurtent à la réalité, ou bien on les oublie. Comme pour une pelote emmêlée, tu dois défaire les nœuds les uns après les autres, patiemment et calmement.
Je te félicite de l’avoir compris ma tendre vache et je te congratule pour ton admirable persévérance. Peu l’auraient fait car ça t’a demandé beaucoup de courage. Celui de t’être assis pour écrire après t’être levé pour vivre.
Je me rendis compte que je pleurais, en imaginant le sourire plein de compassion de mon frère maasaï. Les flammes craquaient joyeusement, faisant danser des ombres chinoises. Je bus d’un trait le reste de mon mug et m’en resservis une seconde tasse. Le thé m’enveloppait d’un bien-être qui me donnait les idées claires.
Décidément, Kenny voyait toujours aussi bien les choses. Ses paroles me touchaient au moment où j’étais hanté par un sentiment d’échec.
... Tout autour de toi est une invitation à la dispersion. La société moderne l’exige pour semer l’indécision, la confusion, et mettre son emprise sur les hommes. Mais toi, Xabio, tu es resté, comme nous, impossible à façonner et encore moins à briser. Tu ne sais pas encore très bien t’y prendre mais ta nature s’est révoltée.
Tu viens de prouver ta volonté en écrivant cette thèse pour faire connaître au monde le souffle qui nous habite. Combien d’hommes ont daté une nouvelle ère de leur vie à partir de la lecture d’un livre !
Tu as mobilisé toutes les forces qui étaient en toi autour de ce seul objectif. Te souviens-tu de ton rêve de jeunesse ?
Je te guidais dans une ronde d’enfants qui se donnaient la main autour d’un rocher en forme de sphère.
Ce rocher n’était autre que la Terre, qui gravite, contre vents et marées, autour d’un point central, le Soleil.
Quant à la disposition en cercle des enfants à la périphérie de la sphère, elle était destinée à te faire comprendre cette leçon donnée par l’Intelligence cosmique, que l’on retrouve dans l’infiniment petit car la moindre de nos cellules se structure également autour d’un noyau central : pour qu’un organisme soit vivant, il faut qu’un point central lie, retienne, maintienne tous les éléments qui le composent.
Tu le vois, mon Pakiteng, tu n’as fait qu’appliquer cette loi, si simple pourtant, de la nature qui consiste à rechercher le point central qui est en toi et en chacun de nous. Surtout, tu es allé jusqu’au bout malgré les difficultés. Tu as atteint ta cible.
Je contemplai les flammes qui crépitaient en lançant des gerbes d’étincelles. Il faisait encore nuit et, n’ayant allumé que la lampe du bureau, le feu posait des reflets orangés sur toute la pièce. Cette lumière irréelle et la chaleur du foyer m’engourdissaient. J’étais apaisé, physiquement et psychiquement.
« C’est inouï tout de même ! murmurai-je, c’est par un rêve que je suis en train de rentrer dans le monde réel. »
Le plaisir de boire, en plus du thé, les paroles de Kenny, me rendait ma vitalité. Je posai, impatient, mes yeux mouillés sur une nouvelle page de mon cahier à spirales :
... Je sais, mon Xabio, tu vas me dire que ça a été dur, que tu t’es senti bien seul et que sais-je encore ! Mais sache que la difficulté existe pour te rendre conscient de l’authentique sens de la vie humaine. Elle est là pour t’aiguillonner vers l’éveil, et tes frustrations t’auront permis de vouloir te surpasser.
Chez nous, on l’appelle Osina Kishon. Elle est notre expression de vie la plus sacrée. Elle est un don du Ciel.
Nous remercions sans cesse lorsque nous y sommes confrontés car nous savons qu’elle est placée sur notre chemin pour nous élever toujours plus haut ; qu’Enk’Aï nous fait un grand honneur et qu’Elle nous donnera les moyens de la surmonter. La difficulté trempe notre âme.
C’est aussi parce que tu as été en difficulté que tu as pu sonder la puissance de ta foi, c’est-à-dire l’authenticité de ton engagement pour accomplir ton objectif.
Souviens-toi, une fois réveillé, de ce que je t’aurai dit en cette nuit magique, souviens-toi de qui tu es. Chaque matin, chaque soir, allonge-toi et répète neuf fois en maa (la langue des Maasaï) à haute voix cette grande formule pour que tu continues de vivre tes rêves : « ashe naleng Enk’Aï (« merci beaucoup ma Déesse ! ») de m’aider à me débarrasser de mon petit moi pour que je devienne ton égal. » Pour l’homme ordinaire, ça paraît être un délire d’orgueil.
Mais c’est exactement l’inverse ; ce sont ses illusions qui sont de l’orgueil car elles l’empêchent de vivre sa véritable nature.
Ses paroles me rassurèrent et je restai là, le visage tourné vers la lueur rougeoyante des braises, à méditer sur le sens de ces mots. Longtemps après, je me levai doucement pour remettre une bûche dans le feu, puis sortis de la maison. Je regardai le ciel bleu. En dépit du froid persistant, le beau temps était revenu. La pluie ne tombait plus.
Les neuf leçons du guerrier maasaï, Xavier PéronAinsi donc, j’aurais descendu l’escalier en pleine nuit, pris place à mon bureau, dessiné ces cercles, écrit ces mots sans que ma mémoire en eût gardé la moindre trace ?
Après tout, je n’en étais pas à une énigme près. La tête ailleurs, je bus une gorgée de mon thé favori et repris la lecture là où je l’avais laissée :... Tu n’es pas seul. Nul ne l’est. Le plaisir de l’être humain, c’est de partager. Je ne te blâme pas car je comprends très bien ce que tu as fait. Tu t’es dit « je vais vivre en ermite pour écrire tout ce que j’ai à dire, et après on verra ! ». Chez nous, tu le sais aussi bien que moi, nous dirions que c’est du suicide, que c’est antivie. Ne soit donc pas étonné si ta joie s’en est allée. Mais je te rassure, il n’y a rien de grave à cela, tu l’as juste mise entre parenthèses et tu vas la retrouver.
Car tu es demeuré un Occidental, que tu le veuilles ou non. Toi aussi, on t’a appris à être penché d’un seul côté, celui du mental. Pour t’en sortir, tu dois maintenant faire l’expérience d’une seule chose à la fois. C’est à cette condition que ce que tu apprendras ne restera pas à l’état de principe et s’intégrera dans ton essence intime. Les principes on le sait se heurtent à la réalité, ou bien on les oublie. Comme pour une pelote emmêlée, tu dois défaire les nœuds les uns après les autres, patiemment et calmement.
Je te félicite de l’avoir compris ma tendre vache et je te congratule pour ton admirable persévérance. Peu l’auraient fait car ça t’a demandé beaucoup de courage. Celui de t’être assis pour écrire après t’être levé pour vivre.
Je me rendis compte que je pleurais, en imaginant le sourire plein de compassion de mon frère maasaï. Les flammes craquaient joyeusement, faisant danser des ombres chinoises. Je bus d’un trait le reste de mon mug et m’en resservis une seconde tasse. Le thé m’enveloppait d’un bien-être qui me donnait les idées claires.
Décidément, Kenny voyait toujours aussi bien les choses. Ses paroles me touchaient au moment où j’étais hanté par un sentiment d’échec.
... Tout autour de toi est une invitation à la dispersion. La société moderne l’exige pour semer l’indécision, la confusion, et mettre son emprise sur les hommes. Mais toi, Xabio, tu es resté, comme nous, impossible à façonner et encore moins à briser. Tu ne sais pas encore très bien t’y prendre mais ta nature s’est révoltée.
Tu viens de prouver ta volonté en écrivant cette thèse pour faire connaître au monde le souffle qui nous habite. Combien d’hommes ont daté une nouvelle ère de leur vie à partir de la lecture d’un livre !
Tu as mobilisé toutes les forces qui étaient en toi autour de ce seul objectif. Te souviens-tu de ton rêve de jeunesse ?
Je te guidais dans une ronde d’enfants qui se donnaient la main autour d’un rocher en forme de sphère.
Ce rocher n’était autre que la Terre, qui gravite, contre vents et marées, autour d’un point central, le Soleil.
Quant à la disposition en cercle des enfants à la périphérie de la sphère, elle était destinée à te faire comprendre cette leçon donnée par l’Intelligence cosmique, que l’on retrouve dans l’infiniment petit car la moindre de nos cellules se structure également autour d’un noyau central : pour qu’un organisme soit vivant, il faut qu’un point central lie, retienne, maintienne tous les éléments qui le composent.
Tu le vois, mon Pakiteng, tu n’as fait qu’appliquer cette loi, si simple pourtant, de la nature qui consiste à rechercher le point central qui est en toi et en chacun de nous. Surtout, tu es allé jusqu’au bout malgré les difficultés. Tu as atteint ta cible.
Je contemplai les flammes qui crépitaient en lançant des gerbes d’étincelles. Il faisait encore nuit et, n’ayant allumé que la lampe du bureau, le feu posait des reflets orangés sur toute la pièce. Cette lumière irréelle et la chaleur du foyer m’engourdissaient. J’étais apaisé, physiquement et psychiquement.
« C’est inouï tout de même ! murmurai-je, c’est par un rêve que je suis en train de rentrer dans le monde réel. »
Le plaisir de boire, en plus du thé, les paroles de Kenny, me rendait ma vitalité. Je posai, impatient, mes yeux mouillés sur une nouvelle page de mon cahier à spirales :
... Je sais, mon Xabio, tu vas me dire que ça a été dur, que tu t’es senti bien seul et que sais-je encore ! Mais sache que la difficulté existe pour te rendre conscient de l’authentique sens de la vie humaine. Elle est là pour t’aiguillonner vers l’éveil, et tes frustrations t’auront permis de vouloir te surpasser.
Chez nous, on l’appelle Osina Kishon. Elle est notre expression de vie la plus sacrée. Elle est un don du Ciel.
Nous remercions sans cesse lorsque nous y sommes confrontés car nous savons qu’elle est placée sur notre chemin pour nous élever toujours plus haut ; qu’Enk’Aï nous fait un grand honneur et qu’Elle nous donnera les moyens de la surmonter. La difficulté trempe notre âme.
C’est aussi parce que tu as été en difficulté que tu as pu sonder la puissance de ta foi, c’est-à-dire l’authenticité de ton engagement pour accomplir ton objectif.
Souviens-toi, une fois réveillé, de ce que je t’aurai dit en cette nuit magique, souviens-toi de qui tu es. Chaque matin, chaque soir, allonge-toi et répète neuf fois en maa (la langue des Maasaï) à haute voix cette grande formule pour que tu continues de vivre tes rêves : « ashe naleng Enk’Aï (« merci beaucoup ma Déesse ! ») de m’aider à me débarrasser de mon petit moi pour que je devienne ton égal. » Pour l’homme ordinaire, ça paraît être un délire d’orgueil.
Mais c’est exactement l’inverse ; ce sont ses illusions qui sont de l’orgueil car elles l’empêchent de vivre sa véritable nature.
Ses paroles me rassurèrent et je restai là, le visage tourné vers la lueur rougeoyante des braises, à méditer sur le sens de ces mots. Longtemps après, je me levai doucement pour remettre une bûche dans le feu, puis sortis de la maison. Je regardai le ciel bleu. En dépit du froid persistant, le beau temps était revenu. La pluie ne tombait plus.
Editions Jouvence (Avril 2013 ; 317 pages)
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