D’après l’article « Hit the Reset Button in Your Brain »
de Daniel L. Levitin
The New York Times, 9 août 2014
Ce mois-ci, de nombreux Américains vont prendre des congés pour partir en vacances, effectuer des travaux dans leur maison ou simplement profiter de leur famille et de leurs amis. Et beaucoup d’entre nous vont se sentir coupables d’occuper ainsi cette période de repos. Nous allons être préoccupés par tous les courriers électroniques qui s’accumulent au travail et, dans de nombreux cas, nous allons continuer de consulter compulsivement notre messagerie lors de notre précieux temps libre.
Mais méfiez-vous de ces fausses vacances. Assurez-vous d’en prendre des vraies. Les vacances d’été ne sont pas qu’une gentille coutume. Tout comme le temps passé en famille, le temps des repas et celui des week-ends, cette période a son importance : elle permet de tirer le meilleur de nos beaux cerveaux.
Chaque jour, nous sommes assaillis par des informations, des pseudo-informations, des flux RSS et de babillages provenant de toutes les directions. Selon une étude de 2011, dans une journée normale, nous recueillons, en matière d’informations, l’équivalent de 174 journaux, soit cinq fois plus qu’en 1986. Tandis que les 21 274 stations de télévision du monde produisent 85 000 heures de programmes nouveaux chaque jour (d’après des chiffres de 2003), nous regardons en moyenne cinq heures de télévision par jour. Pour chaque heure de vidéo YouTube que vous regardez, il y a 5 999 heures de nouvelles vidéos postées sur le site !
Si vous vous sentez dépassés, c’est qu’il y a une raison : la capacité de traitement qu’a l’esprit conscient est limitée. C’est la conséquence de l’évolution du système attentionnel de notre cerveau. Celui-ci possède deux « modes » majeurs liés à l’attention : le réseau « centré sur la tâche » et le réseau « par défaut » – on les appelle « réseaux », car ils sont composés de réseaux de neurones disséminés dans le cerveau comme des circuits électriques. Le réseau « centré sur la tâche » est actif lorsque vous êtes pleinement et exclusivement pris par une activité, concentré sur celle-ci et sans aucune distraction ; les neuroscientifiques l’appellent le réseau exécutif. Le réseau « par défaut » est actif quand vous laissez votre esprit vagabonder : c’est le mode de la rêverie. Ces deux réseaux attentionnels fonctionnent comme une balançoire à bascule dans le cerveau : quand l’un est actif, l’autre ne l’est pas.
Ce système attentionnel en deux parties est l’une des plus belles réalisations du cerveau humain : il rend possible une grande capacité à concentrer son attention, capacité qui nous a permis d’exploiter le feu, de construire les pyramides, de découvrir la pénicilline et de décrypter l’ensemble du génome humain. Ces projets ont demandé beaucoup de « Cent fois sur le métier… »
Mais le cerveau de l’homme qui le premier a eu la vision de ces projets devait probablement être dans le mode de la rêverie. Cet état du cerveau, marqué par le flux de connexions entre des idées et des pensées disparates, est à l’origine des moments où nous sommes les plus créatifs et les plus perspicaces, quand nous sommes en mesure de résoudre des problèmes qui semblaient auparavant insolubles. Vous pourriez aller vous promener, faire des courses ou faire quelque chose qui ne nécessite pas une attention soutenue et, tout à coup – boum –, la réponse à un problème ardu vous apparaît soudain. C’est le mode de la rêverie, le réseau « par défaut » qui crée des connexions entre des choses que nous n’aurions pas pensées pouvoir être connectées auparavant.
Un troisième élément du système attentionnel, le filtre attentionnel, contribue à orienter notre attention, pour nous dire à quoi il faut faire attention et ce que nous pouvons ignorer sans danger. Ce filtre a sans aucun doute évolué, après avoir servi à nous alerter en présence de prédateurs et d’autres situations dangereuses. Le flux constant d’informations provenant de Twitter, de Facebook, de Vine, d’Instagram, des textos et autres engage ce système, et nous finissons à ne plus maintenir notre attention très longtemps sur une seule chose – voilà bien le fléau de l’âge de l’information.
Mon collaborateur Vinod Menon, professeur de neurosciences à l’Université Stanford, et moi-même avons montré que la transition entre la rêverie et l’attention est contrôlée dans une partie du cerveau appelée cortex insulaire (ou insula), une structure importante mesurant environ 2,5 cm et située sous la surface supérieure de votre crâne. Basculer son attention d’un objet extérieur à un autre met en jeu le carrefour temporo-pariétal. Si la relation entre le réseau exécutif et le réseau « par défaut » est une bascule, alors le cortex insulaire – l’interrupteur de l’attention – est un adulte maintenant l’une des extrémités de la balançoire au sol afin que l’autre reste en l’air. L’efficacité de cet interrupteur varie selon les personnes – s’il fonctionne bien chez certains, il peut s’avérer plutôt rouillé chez d’autres. Mais il fonctionne toujours, et s’il est sollicité trop souvent, nous nous sentons fatigués et un peu étourdis, comme si nous étions en train de faire de la balançoire trop rapidement.
Chaque mise à jour de statut que vous lisez sur Facebook, chaque tweet ou texto que vous recevez d’un ami, se dispute les ressources de votre cerveau avec des choses importantes comme : « Dois-je placer mes économies dans des actions ou des obligations ? », « Où ai-je laissé mon passeport ? », « Comment me réconcilier avec cet ami proche avec qui je viens d’avoir une dispute ? »
Si vous voulez être plus productif et créatif, et avoir plus d’énergie, la science vous enjoint à partitionner votre journée en différentes périodes correspondant chacune à un projet unique. Le temps passé sur les réseaux sociaux devrait correspondre, non pas à des interruptions constantes dans votre journée, mais à un moment précis dédié.
Idem pour vos courriers électroniques. Savoir que vous avez un message en attente, non lu, peut saper vos ressources attentionnelles, car votre cerveau ne cesse de penser à ce message, vous distrayant de ce que vous faites réellement. Que pourrait-il contenir ? De qui est-il ? S’agit-il de bonnes ou de mauvaises nouvelles ? Il est préférable de désactiver votre messagerie plutôt que d’entendre ce « ding » constant et de savoir que vous recevez des messages et que vous ne les lisez pas.
L’augmentation de notre créativité se fera tout naturellement au fur et à mesure que nous apprendrons à dominer notre penchant à faire plusieurs choses en même temps et que nous nous immergerons dans une seule tâche pour une période prolongée de, disons, 30 à 50 minutes. Plusieurs études ont montré que se promener dans la nature ou écouter de la musique peut déclencher le mode de la rêverie. Ces activités agissent comme un bouton de réinitialisation de neurones, et vous aide à avoir le recul nécessaire sur ce que vous faites.
Rêvasser mène à la créativité, et les activités créatives nous révèlent notre capacité à agir, à changer le monde, à le modeler à notre goût, à avoir un effet positif sur notre environnement. La musique, par exemple, se révèle être une méthode efficace pour améliorer sa concentration, asseoir sa confiance en soi, ses aptitudes sociales et se forger un sens de l’engagement.
Cette idée radicale – que résoudre des problèmes peut prendre un certain temps et n’a pas à toujours être accompli dans la minute – pourrait avoir des effets profonds sur les prises de décision, et même sur notre économie. Considérez ceci : selon certaines estimations, les erreurs médicales évitables sont la troisième cause de décès aux États-Unis, ce qui représente des centaines de milliers de morts chaque année. Vous voulez que votre diagnosticien vous donne la bonne réponse, pas toujours la plus rapide. Décrocher un peu n’est pas toujours mauvais. Vous ne voulez pas que votre pilote d’avion ou que le contrôleur du trafic aérien le fassent pendant leurs heures de travail, mais vous voulez cependant qu’ils aient la possibilité de se « réinitialiser » – c’est pourquoi le contrôle de la circulation aérienne et les autres emplois demandant une attention accrue exigent généralement des pauses fréquentes. Plusieurs études ont montré que les personnes qui font des heures supplémentaires atteignent un point de rendement décroissant.
Faire des pauses est biologiquement réparateur. Faire des siestes, c’est encore mieux. Plusieurs études observent qu’une sieste, même de 10 minutes, améliore la fonction cognitive et la vigueur, et diminue la somnolence et la fatigue. Si nous pouvons nous entraîner à prendre régulièrement des vacances – de vraies vacances, sans travail – et à nous ménager du temps pour faire la sieste et méditer, nous nous trouverons dans une position plus puissante pour commencer à résoudre certains des grands problèmes du monde. Et pour être plus heureux et bien reposé pendant que nous le faisons.
Retrouvez l’article en VO sur le site du New York Times.
Traduction © Kaizen magazine
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