Pour le passé qui pèse et qui ne passe pas, nous disposons du pardon, étrange chose si humaine et si fragile. Contre la menace et l’imprévisibilité du futur, nous avons la promesse, aussi étrange et fragile attitude humaine, toutes les deux échappent à la mécanique universelle et au déterminisme des choses, elles n’habitent pas le monde mais seulement le temps. Et pas n’importe lequel : c’est le temps de l’amour ! Il faut de l’amour pour pardonner et se pardonner, il faut de l’amour pour tenir ses promesses. Plus que de force, plus que de courage ou de volonté, c’est la force du désir qui nous ouvre cette porte. Rien ne garantit ni n’oblige, ici, point d’irréversible : cela ne se passe qu’au présent. La promesse et même le projet et l’engagement, ce ne sont pas du futur, c’est du présent qui s’aime, qui veut aimer sa durée, qui veut croître et qui désire ce qui vient. Le pardon et l’acceptation ce ne sont pas des choses du passé, c’est du présent de la conscience qui aime sa durée, le présent du passé réconcilié et libéré du pur passé. Le pardon n’est pas l’oubli, il relève plutôt de la mémoire. C’est sur fond de mémoire qu’il permet au passé de passer. L’oubli l’enchaîne, dans le non accompli et empêche le présent. Le projet et la promesse ne sont ni prophétie ni augure, seulement ils permettent à l’avenir d’advenir.HANNAH ARENDT, La condition de l’homme moderne
Le temps de l’homme n’est pas un serpent qui se mord la queue ni Chronos dévorant ses enfants, il n’est pas non plus une ligne droite jusqu’à l’infini, qui traverserait l’être dans une indifférence métaphysique. Le temps humain est fait des courbes de la vie, comme les tracés d’un peintre, il est fait des mouvements, de rythmes comme la danse, des trajectoires en spirale de la conscience ; il est fini comme l’homme et comme la vie ; il ne nous entoure pas comme l’espace, il nous constitue et nous libère. Nous pouvons plonger, émus dans la nuit du temps par la contemplation d’un fossile, et apprendre des sagesses vénérables d’un arbre millénaire, des temples des cultures disparues. Nous pouvons aussi imaginer, rêver, désirer, écrire, construire et lutter, non pas pour le grand soir mais pour des aubes claires, même si nous y laissons nos plumes, notre jeunesse et notre sang. Bien sûr, il y a des promesses qui ne seront pas tenues, sans doute des douleurs ne disparaîtront jamais et le vent de l’oubli cosmique gagnera un jour, comme le mistral. Mais nous aurons dansé, nous aurons pleuré, nous nous serons aimés sans retenue sous les étoiles et sur les toits de lieux invraisemblables, nous auront vécu libres, ce temps qui est de l’amour et nous n’aurons pas manqué de nous poser un jour la question « qu’est-ce que le temps ? », non pas dans la crainte et le tremblement, mais dans l’étonnement et la joie, en écoutant la vibration si subtile de l’existence, comme une corde tendue entre la gratitude et l’espoir.
dimanche 15 février 2015
Le pardon
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