lundi 2 mars 2015

Le rituel de démembrement chamanique



« La vocation chamanique, à l’instar de n’importe quelle vocation religieuse, se manifeste par une crise, par une rupture provisoire de l’équilibre spirituel du futur chaman »
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La plupart du temps, autours du globe, on devient chaman par choix des esprits, choix de la communauté (souvent, le « vieux » chaman désigne les « candidats ») et plus rarement par quête personnelle. Dans le cas dont je parle, chamanisme mongol (relié assez fréquemment au sibérien), et donc, dans mon cas, le chaman le devient principalement par choix des esprits. La désignation se fait sur base de différents critères qui permettent à la communauté (et principalement à l’ancien chaman) de « révéler » les futurs chamans : les « coups du destin », une naissance marquée sous le sceau d’un incident, les maladies subites, les accidents rares (foudres par exemple), les maladies dépressives, le destin tragique.
À partir du moment où la désignation est faite, le futur chaman participe à un rite initiatique que l’on nomme directement en rapport avec le sujet du rite dit « le démembrement ». Le démembrement se traduit par une ascension céleste puis une descente aux enfers mystiques, une torture ou mise à mort, mort et renaissance. Pour schématiser, les ancêtres, esprits, divinités, semi-divinités, démons, ceci dépend principalement de la cosmologie locale et de la situation sur le globe, parfois aussi, le vieux chaman lui même fait subir au futur chaman une mort/renaissance symbolique.
 
Lors de la renaissance, le futur chaman reçoit ses pouvoirs de guérisseur par les esprits. Ses organes et ses os sont nettoyés ou directement « échangés ». Après quoi, le chaman soumis à ce rituel reçoit une initiation plus technique sur les pratiques de guérison (physique ou mentale) . Souvent, la suite plus directe de ce rituel se traduit par une crise, dépression initiatique de reconstruction, à la limite de la névrose psychiatrique.
Le chaman étant un guérisseur blessé, il convient donc, évidemment, qu’il ait accompli la tâche de se guérir, afin de comprendre, pour avoir vécu au fond de son être, les mécanismes et les étapes de la guérison morale ou physique (très souvent les deux). Pour en revenir avec le parallèle fait entre mon expérience et les connaissances acquises anthropologiques sur ces conditions d’initiations, j’en viens à mon vécu. Pour ma part, ce furent les esprits qui ont initiés le commencement de ce rituel, fait en voyage chamanique au tambour avec mon ami lors d’une descente dans ce qu’ils nomment les « enfers mystiques ». Mes « animaux de pouvoir » étaient déjà connus et donc, ils furent appelés comme il est fait traditionnellement afin de me protéger et de veiller sur mon âme. Ainsi, mes animaux étaient présent AU DEBUT de ce voyage. Lors de ce passage, où mes « animaux de pouvoir » (ou animaux totem et non pas guide) ont attendu, j’arrivais tout d’abord dans un désert poussiéreux et gris, me voyant sous forme de squelette tout aussi poussiéreux, dont il ne restait que le cœur et le cerveau. Deux organes aussitôt dévorés par mon père, lui aussi réduit à l’état de « zombie » dans ce désert. (Souvent, la mort accompagne l’initié, car c’est sur les personnes défuntes que les chamans locaux estiment que les esprits récupèrent des os lorsqu’il en manque chez l’initié lors de son « remembrement ».)

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P.66 (du livre de Mircea Eliade) « Se réduire a l’état de squelette équivaut à une réintégration dans la matrice de cette Grande Vie, c’est à dire à un renouvellement total, à une renaissance mystique. »
Après quoi, par un sacrifice consenti, je fus (dans l’ordre) : les dents écrasées, nez et oreille tranchés, égorgé, écrasé, creusés, attaqué par des êtres dont je ne perçois nullement le physique, je me sens comme dévoré, peau aspirée/arrachée de part et d’autre du corps, en son juste milieu, la chair est littéralement vaporisée, il ne reste que le squelette, qui est alors traversé par des sortes de faisceaux de lumière et il finit par être dissout. À ce moment là, je ne perçois plus que mon crâne, ouvert, avec des sortes d’êtres entourant le crâne, me transperçant le cerveau avec des piques en fer. L’une d’elle reste à l’intérieur.
P58: « Entre la substance magique, masse invisible mais tangible, et les flèches, épines, cristaux de roches dont le chaman est farci, il n’y a pas différence de nature. Ces objets matérialisent la force du chaman, laquelle dans de nombreuses tribus est conçue sous la forme plus vague et tant soit peu abstraite d’une substance magique. »

Les cavernes et labyrinthes ont une fonction primordiale dans les initiations chamaniques à travers le globe, car ils constituent une preuve, des symboles, du passage dans « l’autre monde » .
Ainsi, dans mon expérience de démembrement, après cette mise à mort, je me retrouve dans un lieu fermé. Je ne suis qu’une silhouette « humaine », relativement lumineuse, dans un coin de cette « pièce ». C’est alors que le « remembrement » a lieu. La lumière s’intensifie fortement, pour être à nouveau emballée, d’abord par les os, puis la chair, puis la peau qui finit par emballer l’ensemble. C’est alors que je me retrouve dans le désert terreux à nouveau. L’aspect labyrinthique de mon démembrement se trouve dans une succession de lieux par lesquels je passe, qui n’en finissent plus, et qui me font ressentir une déprime totale, un abandon. La clé de mon labyrinthe : le lâcher prise. À ce moment là, je me retrouve donc à trouver un passage dans un creux de la terre, un peu en hauteur, qui me permet donc de sortir de ce « rituel » et de retrouver les animaux de pouvoir laissés avant le début du rituel dans « l’autre monde ». La renaissance donc. Ceci constitue, en compagnie de mon ami chaman, le rituel de démembrement traditionnel. En me plongeant, plus d’une année plus tard, dans le livre de Mircea Eliade, j’ai pu y repérer les éléments précis que ce chaman voyait dans ce voyage, rituel particulier, qui lui permettait d’affirmer que j’avais vécu un démembrement chamanique. Mais le démembrement ne s’inscrit pas uniquement dans le monde des esprits. C’est à ce moment que ma crise de « dépression initiatique », comme il aime la nommer, a débuté.

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Les chamans sont des guérisseurs blessés, disais-je. J’en devenais la blessure même. Ils ne se contentent pas de guérir les petits tracas quotidiens, de participer activement aux rites de naissances, de morts, de passage dans la vie : ils guérissent, avant même de s’occuper de l’Autre, de leur propre personne, persona et ombre.
Le rapprochement avec Jung, ou même des contes traditionnels d’autres bouts du globe (« La Loba » par exemple), se retrouvent également chez les medecine-men en Australie.
Il faut, maintenant que le chaman a été initié à sa mise à mort, mort et renaissance symbolique et mystique, qu’il réapprenne qui il est dans son nouvel être.
C’est ainsi que débuta une année assez sombre : dépression, perte d’à peu près tout mes acquis matériels, de mes « acquis » relationnels, de mes propres repères. Je suis devenu à ce moment-là « l’ombre de moi même ». Mes blessures « historiques » personnelles ont pris la place majeure dans mon ressenti, ont mis un filtre sur chaque émotion reçue. Mes peurs m’ont guidé dans des choix qui ont fini par me faire perdre le peu qu’il me restait, pour finalement perdre, au bout du chemin, l’envie majeure de tout être humain : vivre.
Le rebond eut lieux grâce à une autre tradition chamanique : la medicina péruvienne.

Ainsi, le chaman avait-il eut raison. Je devais affronter, rassembler les morceaux et trier l’ensemble pour pouvoir poursuivre ce chemin. L’aspect du rituel de démembrement principal est qu’il a lieu dans toutes les traditions chamaniques comme telles : ascension et/ou descente aux enfers mystiques (à ne pas confondre avec les enfers chrétiens), mis à mort/mort/renaissance, avec, pour ce faire et pour que le « chaman initiateur » puisse « valider » le futur jeune chaman à initier des éléments caractéristiques dans globalement toutes les traditions : mise en pièce du futur chaman, qui est tué, puis qui est truffé d’éléments « magiques » avant d’être « recréé », « remembré » et enfin, la renaissance. Avec, pour preuve de son passage dans l’autre monde, la caverne, le labyrinthe. Parfois la caverne est réelle, comme en Australie occidentale. Dans tout les cas, le démembrement est un passage obligé pour passer de l’autre « coté du miroir » et recevoir une initiation plus technique (n.b. : parfois, l’instruction est faite également par les esprits eux même, comme chez les altaïques)
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