mercredi 4 mai 2016

La quête initiatique de l'Anneau

 

 

Dans la saga du Seigneur des Anneaux, Frodon hérite d’un mystérieux Anneau qu’il doit détruire afin de sauver le monde. Mais que signifie un tel fardeau ? Et s’il était un miroir réfléchissant nos mondes intérieurs pour nous guider vers notre être essentiel ?

L’épopée du Seigneur des Anneaux pourrait être celle d’un héros de plus s’élançant dans une énième aventure semée d’embuches, si Tolkien n’y avait pas introduit un acteur inédit, objet redoutable à l’apparence insignifiante, à la fois personnage principal et enjeu du récit : l’Anneau. Objet fétiche créé par Sauron, sorcier noir symbolisé par un œil enflammé et omniscient, l’Anneau renferme un puissant pouvoir : celui de révéler les aspects les plus sombres des êtres croisant son chemin. Mais au-delà des personnages de Tolkien, ces zones inexplorées ne vivent-elles pas en nous tous ? N’y-a-t-il pas en chacun une part de personnalité mise à l’écart, un côté sombre jugé négatif que l’on croit préférable de conserver dans un tiroir de notre être, fermé à double tour ?

C’est ce déni d’une partie de soi que le psychanalyste Carl Jung a nommé ombre. « Quand on regarde dans le miroir des eaux, on voit d’abord sa propre image. Celui qui va vers lui-même risque de se rencontrer avec lui-même. Le miroir ne flatte pas, il donne une image fidèle de ce qui regarde en lui, c’est-à-dire le visage que nous ne montrons jamais au monde parce que nous le dissimulons au moyen de la persona, ce masque de l’acteur. Or le miroir se trouve derrière le masque, il dévoile le vrai visage. C’est là la première épreuve de courage sur la route intérieure ; et cette épreuve suffit pour effrayer le plus grand nombre, déclare-t-il dans son ouvrage L’âme et la vie. L’Anneau n’est-il donc pas l’un de ces miroirs qui, à travers les personnages du Seigneur des Anneaux, nous invite à adopter un regard plus global sur soi ?



Sortir de sa zone de confort


Il y a des siècles de cela, Sauron a perdu son précieux Anneau lui permettant de dominer tous les peuples de la Terre du Milieu et il aspire à retrouver son bien. Menace pour l’équilibre, la paix et la liberté, l’objet maléfique doit donc être détruit dans les flammes qui l’on créé : celles de la Montagne du Destin, un volcan situé en Mordor, royaume de Sauron.
Le récit de Tolkien est donc celui de la traque de l’Anneau et de son nouveau porteur qui cherche à en libérer le monde. Mais qui est-il ? A l’opposé d’Aragorn, chevalier sans peurs qui deviendra roi, le personnage chargé de porter l’Anneau en Mordor est un héros inattendu, un simple Hobbit nommé Frodon.

Avant de se voir confier l’Anneau et d’être précipité dans l’aventure, Frodon vit en dehors de la réalité, loin des ennuis du monde. Son existence paisible en Comté, région verdoyante et lumineuse, ressemble à un rêve éveillé, entre pureté, innocence et enfance. En effet, les Hobbits, de par leur petite taille et leur caractère sont l’image même de l’enfant. Tous, comme Frodon, sommes tentés, à un moment de notre vie, d’échapper à la réalité par peur de ne pas pouvoir relever les pénibles défis qu’elle nous soumet. Ce Hobbit coulant des jours tranquilles fait donc écho en nous qui nous complaisons parfois dans une existence, certes éloignée du danger, mais plutôt frustrante qu’épanouissante. Celle-ci trouve son origine dans la peur, peur du changement, peur de l’échec et peur du jugement des autres.
Récemment sorti sur les écrans, le Hobbit, préquelle de la trilogie de l’Anneau met en scène l’oncle de Frodon, Bilbo, qui, avant d’être tenté par l’aventure, se complait lui aussi dans une existence où le confort prime sur la réalisation de ses rêves, qui finit pourtant par le rattraper.

Le masque tombe, parfois douloureusement...
Mais Frodon ne représente-t-il pas aussi cette facette dite positive et valorisante de nous-même qu’il nous arrive de brandir comme un étendard afin d’être reconnu par nos proches ou, plus largement, par la société ? Ce masque rassure et permet d’éviter de se confronter à sa propre vérité, mais à quel prix ? Un leurre de la personnalité nourri par la peur d’être soi-même, un rôle à mille lieux de celui ou celle que nous sommes réellement et qui finit un jour par nous étouffer. Ce qui est confiné veut sortir au grand jour pour crier sa vérité, même s’il doit jaillir violemment, comme un geyser et faire des dégâts tout autour de nous. Oui, le masque tombe, parfois de façon douloureuse, mais c’est l’opportunité de devenir ô combien plus vivant qui nous explose au visage ! Comme dans un conte, la vie en apparence parfaite de Frodon ne peut qu’être chamboulée par un élément perturbateur perçu comme catastrophique, ici, l’Anneau.


Dialoguer avec l’ombre


La quête débute quand le vieux magicien Gandalf, sorte de Maître Yoda version Tolkien, révèle à Frodon la nature de l’Anneau que son oncle Bilbo vient de lui transmettre. L’aventure s’impose alors au Hobbit et le voilà forcé de quitter son nid douillet pour se diriger vers l’Est, ailleurs incertain et périlleux, accompagné de son jardinier Sam et rejoint en cours de route par une vile créature, Gollum, qui seule connait les sentiers obscurs menant en Mordor.

Porter l’Anneau est aussi bien une épreuve du dehors que du dedans. L’objet magique attire l’attention de Sauron et de ses serviteurs : monstres, spectres et soldats inhumains. S’ils sont pour Frodon, des ennemis visibles, ils évoquent autant de forces hostiles évoluant au tréfonds de son être. L’Anneau teste son porteur à la fois psychologiquement et physiquement. La noirceur inhérente à l’objet fait écho à la noirceur qui vit en Frodon, comme si l’Anneau lui commandait de remonter à la surface. De plus, les deux compagnons du Hobbit sont représentatifs d’un dilemme s’opérant en lui, entre son identité habituelle et un nouveau visage, plus féroce. Sam, le bon Hobbit symbolise l’état d’avant la quête, la nature à la fois lumineuse mais limitée de Frodon, tandis que Gollum personnifie l’ombre présente en lui et en chacun de nous, mais une ombre qui aurait pris toute la place et qui étoufferait notre part humaine. Deux aspects à la fois duels et complémentaires se livrent donc bataille en tout homme et c’est ce que l’Anneau reflète. Frodon va-t-il se laisser dévorer par ceux-ci ou parvenir à contrebalancer les forces antagonistes ?

Ne rencontrons nous pas, au cours de notre existence, des épreuves aussi intenses qui viennent renverser le château de carte d’un quotidien trop paisible et qui révèlent de nous un visage totalement différent, tout ce que l’on pensait justement ne pas être ?
D’où vient cette force intérieure qui nous guide vers la sortie du tunnel ?
Les épreuves sont multiples mais certaines restent gravées en nous. Maladie grave ou décès d’un proche, par exemple. La vie, qui jusqu’ici semblait nous avoir épargné, apparait alors sous son jour le plus sombre, le plus injuste. On se sent trahi, on perd la face et le masque de la personnalité tombe. Des questions se bousculent en nous : Mais qui suis-je vraiment ? Vais-je mourir ? Faut-il lutter ? « L’onde de choc de l’épreuve ouvre une brèche dans la muraille de notre édifice, de notre tour d’ivoire. Nous sommes entraînés par cette puissance dans un rite de passage : nous devons choisir entre vivre et mourir » explique la psychothérapeute Marie Lise Labonté dans son ouvrage Le Point de rupture. Gravir la Montagne du Destin s’apparente, pour Frodon, à un flirt avec l’abandon, avec la mort. Porté par Sam, il est aussi menacé par son ombre qui prend de plus en plus de place, à travers Gollum qui rôde pour le faire fléchir. Pourtant, il semble être porté par une énergie intérieure, une lumière d’origine inconnue qui persiste en arrière-plan du chaos de sa personnalité. D’où vient cette force intérieure qui nous guide vers la sortie du tunnel ? N’est-ce pas la vie elle-même qui reprend ses droits quand les ressorts de la personnalité, de l’égo, lâchent ? Et Marie Lise Labonté de continuer : « L’inimaginable est en nous, il n’est plus dans l’évènement extérieur. Il est là, en nous, pour être transmuté par notre puissance intérieure inconditionnelle. Le feu qui nous consume n’attend qu’une chose, nous consumer totalement pour que nous puissions, tel l’éternel Phénix, revivre à partir de nos cendres. »


Un retour à l’unité ?


Et c’est bien un feu purificateur qui attend notre héros quand celui-ci approche du précipice, dans le volcan, pour y jeter l’Anneau. Mais se débarrasser de ses différents masques, qu’ils soient l’ombre ou l’autre facette de notre personnalité, n’est pas si simple. Cela demande du courage, une acceptation, un lâcher prise que Frodon refuse. L’attrait de l’ombre a trop de pouvoir sur lui et il prend la décision de ne pas détruire l’Anneau. Mais le peut-il encore ? N’est-il pas allé trop loin pour reculer au dernier instant ? C’est sous la forme de Gollum que l’ombre l’attaque une dernière fois en lui arrachant un doigt (celui qui porte l’Anneau) avant de chuter dans les flammes. Comme si l’ombre ne laissait pas l’être s’en sortir indemne mais, acceptée par lui, finissait par se dissiper.

L’Anneau n’est plus, l’ombre qui est désormais intégrée par Frodon s’est disloquée.
Il ne s'agit pas d'atteindre la perfection, mais la totalité.
La Terre du Milieu, reflet d’un monde intérieur bouleversé par le déchirement des forces du bien et du mal, est sauvée, mais le Hobbit n’est plus le même. Il n’est plus l’enfant du départ, comme nous ne sommes plus les êtres naïfs qui pensions contrôler nos vie. Il a atteint la maturité que toute épreuve nous invite aussi à acquérir. Le sage n’est-il pas celui qui, au-delà de la perfection, se connait davantage comme la partie d’un Tout possédant en lui toutes les facettes de ce Tout ? Comme le dit Jung, « Il ne s'agit pas d'atteindre la perfection, mais la totalité ». Sam, quant à lui, s’en retourne en Comté. A la différence de Frodon, il n’a pas porté l’Anneau initiateur. Mais Frodon ne peut plus se confiner dans son existence passé. N’avons-nous pas envie de vivre lorsque l’on sait enfin ce que signifie ce mot ? La vie serait donc le mystère demeurant au-delà du jeu des facettes de nos personnalités, ce que l’on peut nommer de différentes manières mais qui reste, au fond, la même chose : lumière, soi, divinité intérieure…peu importe. Frodon quitte donc la Terre du Milieu, le monde de la dualité qu’il a pu expérimenter pleinement au cours de son aventure. En compagnie des guides qui lui sont venus en aide tout au long de son parcours (Gandalf notamment), il se dirige vers un monde tout autre, celui de l’unité.

Initié par l’Anneau, il n’est plus vraiment un Hobbit. Il a subi la traditionnelle transfiguration du héros. C’est l’état vécu par celui qui a totalement fait siennes les blessures de l’existence, non pas comme une punition de la vie, mais comme le passage obligatoire de l’homme qui tente de se connaître lui-même, plus loin que son égo, afin de devenir un miroir de l’essentiel. Les fameuses Terres Immortelles de l’œuvre de Tolkien, situées à l’Ouest, représentent donc les rives que peu d’entre nous ont atteintes et qui pourtant vivent en nous, à la fois si éloignées et si proches de nous, impatientes qu’on les atteigne enfin ! Alors, comme Frodon, ayons le courage de nous regarder, tels que nous sommes, pour avancer, dépasser les faux semblants et retrouver l’essentiel.

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