A force de pas pleurer j’ai cassé mes
yeux. Pas pleurer, quand ton histoire de 10 ans se fait la belle, quand
ton monde s’écroule et qu’il faut continuer. Pas pleurer, quand t’as
peur pour tes proches et qu’il faut lever le menton toujours plus haut
pour eux, pour qu’ils surnagent au dessus de la bouée. Pas pleurer pour
le quotidien, parce que ca se fait pas, parce qu’il y a plus important,
parce qu’on vaut mieux que ca. Pas pleurer pour les gens qui trahissent,
qui blessent ou qui salissent, pas pleurer pour les idiots, pas pleurer
sur du lait renversé, pas pleurer parce que c’est la vie, pas pleurer
parce que pleurer ca sert à rien.
J’ai pas pleuré assez cette année, j’ai mangé mes joues de l’intérieur, j’ai tenu sur les nerfs, si fort que mon corps tremble parfois, j’ai un fil électrique entre les deux épaules, grandes décharges dans les côtes. J’ai cassé mes yeux, ils ne veulent plus donner, alors l’eau sort en filet moche le matin quand je me réveille, quand j’ai pas encore eu le temps d’être triste pour quelque chose, c’est le trop plein, le ressac pollué qui s’échappe par les orifices disponibles, je laisse couler. Je pense à des choses tristes, exprès. En espérant que mes yeux se mettent à pleuvoir, qu’ils retrouvent leur belle humidité, qu’on chiale un bon coup, mes rétines et moi, et qu’on puisse passer à autre chose, allez, dégage la boule dans la gorge, on va te recouvrir, t’inonder. Mais mes yeux sont cassés, et mon corps se rebiffe, j’ai le sourire qui se tord à l’envers, mais pas une goutte en plus pour ma soif, juste quelques kilos de plomb supplémentaires sur les nerfs, développé-couché de stress, je suis culturiste.
J’ai pas pleuré assez cette année, j’ai mangé mes joues de l’intérieur, j’ai tenu sur les nerfs, si fort que mon corps tremble parfois, j’ai un fil électrique entre les deux épaules, grandes décharges dans les côtes. J’ai cassé mes yeux, ils ne veulent plus donner, alors l’eau sort en filet moche le matin quand je me réveille, quand j’ai pas encore eu le temps d’être triste pour quelque chose, c’est le trop plein, le ressac pollué qui s’échappe par les orifices disponibles, je laisse couler. Je pense à des choses tristes, exprès. En espérant que mes yeux se mettent à pleuvoir, qu’ils retrouvent leur belle humidité, qu’on chiale un bon coup, mes rétines et moi, et qu’on puisse passer à autre chose, allez, dégage la boule dans la gorge, on va te recouvrir, t’inonder. Mais mes yeux sont cassés, et mon corps se rebiffe, j’ai le sourire qui se tord à l’envers, mais pas une goutte en plus pour ma soif, juste quelques kilos de plomb supplémentaires sur les nerfs, développé-couché de stress, je suis culturiste.
Il en faudrait pas beaucoup pourtant, je
sens bien, pour m’enlever le sec des yeux. Au yoga, à la fin, je
pleure. Sans savoir pourquoi, parce que j’ai laissé parler quelque chose
dans mon corps sans chercher à le maîtriser tout à fait, je pleure
tordue entre le tapis et le béton, je pleure comme un bébé, mais je ne
suis pas triste, c’est presque thérapeutique, c’est la fin de la séance,
c’est physique. Un exercice supplémentaire de souplesse et de
concentration, fermez les yeux, respirez, pleurez, encore, plus loin,
c’est bien. Je pleure quand je croise le vieux chien et la vieille dame
dans la pente qui monte vers mon bureau, c’est le plus vieux chien du
monde et le plus joli aussi, il se dandine avec toute la grâce de son
âge vers le parc, au ralenti, très digne. Et puis parfois, il s’arrête
au milieu de la route, parce que c’est trop raide, parce qu’il n’y
arrive plus, mais sa queue continue à battre l’air, et sa vieille
maîtresse l’encourage alors qu’elle peine elle aussi à gravir les
derniers mètres. Je pleure derrière la vitre de mon bureau en les
regardant, parce qu’il n’y a rien de plus touchant que cette répétition
d’amour, tous les jours à la même heure, cette discipline du cœur. Je
pleure quand j’ai joui parfois, comme si mon ventre s’ouvrait tout à
fait, comme si mon sexe faisait exploser le système nerveux sympathique,
l’ivresse puis le vide, je pleure d’avoir trop ressenti en une fois, en
trop grand pour moi, je pleure du choc des orgasmes incontrôlés,
violents, désarticulés, mes jambes se soulèvent, mon bassin s’oublie, je
ne me regarde plus baiser, j’ai récupéré mon corps, pour quelques
secondes je l’habite entièrement, il colle à mon ombre et nous pleurons
de nous retrouver.
Je me souhaite de lâcher prise et de
réussir à pleurer. Je me souhaite de parvenir à abandonner l’illusion de
contrôle pour plus de sérénité. Je me souhaite de retrouver le goût des
larmes fraîches, des larmes pour rien, je me souhaite de pleurer de
joie, je me souhaite de pleurer de rire, je me souhaite de me laisser
tomber dans les bras moelleux et accueillants de mes amours, je me
souhaite de me laisser porter un instant, je me souhaite d’être libre de
ressentir la peine et de la laisser venir, sans lui construire de mur
ou de mausolée. Je me souhaite de ne plus avoir peur de paraître faible,
de paraître fatiguée, je me souhaite d’être entière dans mes bonheurs
comme dans mes peines, dans mes luttes comme dans mes difficultés. Je me
souhaite des torrents de larmes, de gros hoquets, je me souhaite des
soubresauts mouillés, des joues creusées, je me souhaite la morve et les
mouchoirs, je me souhaite le sommeil de l’après. Je vais réparer mes
yeux, et les coudre entre mon cœur et ma tête, à points serrés, pour ne
plus les perdre, je vais rétablir les connexions flottantes, laisser
dériver, ouvrir le barrage, enfin, pleurer.
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