De la bataille contre le Système (épisode XIII)
Bientôt les hommes cesseront de s’aimer et de se reproduire,
tomberont amoureux de machines, vivront à travers et grâce à elles,
deviendront un temps des objets connectés parmi d’autres, puis ce sera
l’assimilation et la dissolution dans le transhumanisme rêvé des geeks
hallucinés de la Silicon Valley. C’est peu ou prou l’avenir radieux que
nous promet la conjugaison mortifère du progressisme sociétal et du
technologisme dans notre contre-civilisation néolibérale. Le premier
s’évertue à détruire les relations humaines en organisant leur
impossibilité; l’autre s’emploie à leur substituer un monde
d’algorithmes glacés habilement recouvert d’un vernis de pixels
chatoyants. Pour nouer la gerbe, les apprentis-sorciers de
l’intelligence artificielle nous annoncent des progrès spectaculaires,
confirmant ainsi que dans le monde à venir, le facteur humain va
rapidement devenir une variable inutile. Mais comme le martèle le
catéchisme officiel : «On
n’arrête pas le progrès». Alors en avant !
Pas de cadavre, pas de crime
«On n’arrête pas le progrès !» La sentence vaut son pesant de pixels. Le Système en a d’ailleurs plein son catéchisme des comme ça, où puisent sans relâche ses apôtres pour nous faire comprendre qu’il n’y a tout simplement pas d’alternative à la fuite en avant. Et à force d’être psalmodiée partout et par tous, cette sentence a fini par devenir une Vérité incontestable, et d’ailleurs très peu contestée, sous peine d’excommunication il est vrai.
Le progrès est donc forcément beau et bon puisqu’il est le fruit des découvertes de la science, donc de l’intelligence humaine qui exerce sa belle et bonne souveraineté sur le monde, et ne saurait dès lors être contenue, bridée ou frustrée tant par essence le plus est toujours le bien.
«On n’arrête pas le progrès» donc, comme devise inoxydable gravée au frontispice de cette grande alliance post-moderne du néolibéral désespéré et du geek halluciné qui gouverne désormais la destinée de notre humanité.
Pour le
premier, il s’agit de masquer l’échec total d’une idéologie libérale
qui, dans sa version ultime, a érigé le Marché en dictateur global au
détriment de l’homme, décidément incapable d’apprécier les dividendes de
ce sublime montage il est vrai essentiellement financier.
Alors pour contourner la difficulté, supprimer la résistance, quoi de plus simple que de retirer l'homme de l’équation. Pas de cadavre, pas de crime donc pas d’échec.
Alors pour contourner la difficulté, supprimer la résistance, quoi de plus simple que de retirer l'homme de l’équation. Pas de cadavre, pas de crime donc pas d’échec.
Et c’est là
qu’intervient notre geek hallucinés qui, toujours content de pouvoir
s’amuser, va donc pouvoir exercer une belle et bonne souveraineté sur le
monde, se voyant invité à nous connecter jusqu’au trognon si possible,
jusqu’à ce transhumanisme (1)
qui va nous reformater pour nous faire enfin rentrer dans l’équation, et surtout dans le rang.
Atomiser l’individu
Mais il faut d'abord formater le disque dur social. Et dans notre contre-civilisation néolibérale, c’est le progressisme sociétal qui se charge de faire exploser le corps social pour isoler le plus possible l’individu, et ainsi mieux le préparer à la Grande Connexion, à la Grande Mutation. Une idéologie de gauche pour soutenir la fuite en avant du néolibéralisme de droite donc, comme il se doit.
Mais il faut d'abord formater le disque dur social. Et dans notre contre-civilisation néolibérale, c’est le progressisme sociétal qui se charge de faire exploser le corps social pour isoler le plus possible l’individu, et ainsi mieux le préparer à la Grande Connexion, à la Grande Mutation. Une idéologie de gauche pour soutenir la fuite en avant du néolibéralisme de droite donc, comme il se doit.
Alors on
progresse, de jour en jour, en légiférant à tour de bras pour satisfaire
le moindre lobbie, pour donner l’illusion d’une société vertueusement
engagée dans la quête d’un équilibre parfait où chacun pourra, à terme,
exercer son droit inaliénable à tout sur tout.
Chaque groupe, puis chaque sous-groupe, puis chaque individu se voit ainsi invité à ne concevoir le vivre-ensemble, à ne voir le monde, qu’au travers du prisme déformant de ses intérêts particuliers.
Chaque groupe, puis chaque sous-groupe, puis chaque individu se voit ainsi invité à ne concevoir le vivre-ensemble, à ne voir le monde, qu’au travers du prisme déformant de ses intérêts particuliers.
Ce mécanisme centrifuge s’accompagne bien évidemment d’un «relativisme
moral et culturel total qui incite les individus à grignoter des espaces
de libertés de plus en plus larges, avec des prétentions de plus en plus
subtiles ou extravagantes, voire déviantes».
Une «innocente» tentative de donner satisfaction à tous les égoïsmes concurrents d’un «peuple de démons» qui ne sert, en réalité, qu’à alimenter une guerre de tous contre tous destinée à atomiser les individus. (Nous avons déjà analysé cette immense entreprise d’abolition de l’homme, notamment dans nos billets intitulés «Contre l’abolition de l’homme» justement (2), «Intelligentsia et servitude globalisée» (3), «Retour sur le fiasco libéral» (4) ou encore «La frontière, le Système et le porno» (5).
La rupture d’avec le réel
La cohérence est donc totale entre cette entreprise de déstructuration de la société humaine et la course effrénée au progrès technologique, à l’élaboration de ce goulag de pixels et d’hyper-connectivité dont la finalité n’est pas de faciliter la vie ou les rapports sociaux, mais précisément de s’y substituer.
Aujourd’hui déjà, l’individu post-moderne passe en moyenne huit heures par jour le nez planté dans un écran (6) (ordinateur, TV, tablette, smartphone, console etc...). Huit heures par jour: c’est juste un tiers de la vie, et même la moitié de la vie «éveillée».
Si l’on extrapole, cela veut dire qu’un adulte du XXIe siècle va passer plusieurs dizaines d’années de sa vie à fixer les pixels d’un rectangle lumineux. Un écran où tout ce qui se passe est organisé, vu, compilé, répertorié et examiné par les algorithmes du Système bien sûr.
Une «innocente» tentative de donner satisfaction à tous les égoïsmes concurrents d’un «peuple de démons» qui ne sert, en réalité, qu’à alimenter une guerre de tous contre tous destinée à atomiser les individus. (Nous avons déjà analysé cette immense entreprise d’abolition de l’homme, notamment dans nos billets intitulés «Contre l’abolition de l’homme» justement (2), «Intelligentsia et servitude globalisée» (3), «Retour sur le fiasco libéral» (4) ou encore «La frontière, le Système et le porno» (5).
La rupture d’avec le réel
La cohérence est donc totale entre cette entreprise de déstructuration de la société humaine et la course effrénée au progrès technologique, à l’élaboration de ce goulag de pixels et d’hyper-connectivité dont la finalité n’est pas de faciliter la vie ou les rapports sociaux, mais précisément de s’y substituer.
Aujourd’hui déjà, l’individu post-moderne passe en moyenne huit heures par jour le nez planté dans un écran (6) (ordinateur, TV, tablette, smartphone, console etc...). Huit heures par jour: c’est juste un tiers de la vie, et même la moitié de la vie «éveillée».
Si l’on extrapole, cela veut dire qu’un adulte du XXIe siècle va passer plusieurs dizaines d’années de sa vie à fixer les pixels d’un rectangle lumineux. Un écran où tout ce qui se passe est organisé, vu, compilé, répertorié et examiné par les algorithmes du Système bien sûr.
Premier
constat: la rupture avec le monde réel, la mère Nature notamment, est
absolument totale et la rando mensuelle n’y change rien. D’où sans doute
cette indifférence à l’agonie de la paysannerie et à celle de
l’écosystème en général, hormis les postures de façade bien sûr.
Deuxième constat: les rapports sociaux se virtualisent déjà largement aussi, devenant peu à peu un simulacre organisé par écrans interposés, et là encore grâce aux algorithmes du Système. Cette hyper-connexion sensée rapprocher les hommes ne fait donc en réalité que les séparer.
Deuxième constat: les rapports sociaux se virtualisent déjà largement aussi, devenant peu à peu un simulacre organisé par écrans interposés, et là encore grâce aux algorithmes du Système. Cette hyper-connexion sensée rapprocher les hommes ne fait donc en réalité que les séparer.
Mon robot, mon amour
Dans un futur proche, la robotique va encore permettre de franchir une étape décisive dans l’abolition de l’homme. D’abord sous une forme ludique en prenant en charge l’un des rapports sociaux les plus compliqués et essentiels qui soit: la sexualité.
Il semble en effet que le sexe avec les robots soit au menu des progrès de notre contre-civilisation pour cette année déjà (7), une étape logique de l’évolution de sextoys à circuits imprimés, dont le succès commercial est déjà phénoménal.
Mais pourra-t-on réellement amener l’homme à développer une véritable relation amoureuse avec une machine ? Eh bien oui. La chose est d’ores et déjà dans le pipeline comme on dit.
Dans un futur proche, la robotique va encore permettre de franchir une étape décisive dans l’abolition de l’homme. D’abord sous une forme ludique en prenant en charge l’un des rapports sociaux les plus compliqués et essentiels qui soit: la sexualité.
Il semble en effet que le sexe avec les robots soit au menu des progrès de notre contre-civilisation pour cette année déjà (7), une étape logique de l’évolution de sextoys à circuits imprimés, dont le succès commercial est déjà phénoménal.
Mais pourra-t-on réellement amener l’homme à développer une véritable relation amoureuse avec une machine ? Eh bien oui. La chose est d’ores et déjà dans le pipeline comme on dit.
Des chercheurs ont démontré que les hommes sont parfaitement capables
d’éprouver des sentiments pour des machines (8).
Avec cet avantage incroyable de pouvoir répondre de manière adaptée à
toutes les névroses, à toutes les solitudes, à tous les désespoirs en
proposant le compagnon idéal, sur mesure, flatteur, attentionné et
enjoué auquel chacun devrait évidemment avoir droit
(parce qu’il le vaut bien) (9).
Et tôt ou tard, et plutôt tôt que tard au vu de l’accélération
exponentielle des progrès en matière d’algorithmes, la fameuse «Vallée
étrange» – théorie selon laquelle
plus un robot ressemble à un homme plus ses imperfections apparaissent
monstrueuses et engendre donc son rejet (10) –sera
comblée.
L’homme pourra alors se passer de l’homme et la Machine-Marché pourra enfin pourvoir à l’entier de ses besoins.
Mon robot, mon maître
L’homme pourra alors se passer de l’homme et la Machine-Marché pourra enfin pourvoir à l’entier de ses besoins.
Mon robot, mon maître
C’est que le robot dont on finira par tomber amoureux n’aura rien à voir
avec cette sorte de grille-pain siliconé qui constituera la première
génération des robots purement sexuels de notre décennie finissante. A
terme, le robot dont on tombera amoureux sera subtil, cultivé et très
intelligent, beaucoup plus intelligent que nous d’ailleurs.
Et là non plus, l’horizon n’est finalement pas si lointain.
Récemment en effet, un nouveau progrès spectaculaire a sidéré les apprentis-sorciers de l’intelligence artificielle (IA) eux-mêmes.
Un robot vient en effet de remporter un tournoi de... poker.
Anodin ?
Pas vraiment en fait.
Car le poker est un jeu de menteur, de bluffeur, pas un jeu basé sur des équations mathématiques.
Noam Brown, le créateur de Libratus (11), l’intelligence artificielle qui a remporté le tournoi, explique ainsi que ses concepteurs lui ont «donné les règles de base» en lui disant : «Apprends par toi-même». Et ils ont été les premiers surpris du résultat. «Quand j’ai vu l’IA se lancer dans le bluff en face d’humains, a déclaré Noam Brown, je me suis dit: «Mais, je ne lui ai jamais appris à faire cela!»
Récemment en effet, un nouveau progrès spectaculaire a sidéré les apprentis-sorciers de l’intelligence artificielle (IA) eux-mêmes.
Un robot vient en effet de remporter un tournoi de... poker.
Anodin ?
Pas vraiment en fait.
Car le poker est un jeu de menteur, de bluffeur, pas un jeu basé sur des équations mathématiques.
Noam Brown, le créateur de Libratus (11), l’intelligence artificielle qui a remporté le tournoi, explique ainsi que ses concepteurs lui ont «donné les règles de base» en lui disant : «Apprends par toi-même». Et ils ont été les premiers surpris du résultat. «Quand j’ai vu l’IA se lancer dans le bluff en face d’humains, a déclaré Noam Brown, je me suis dit: «Mais, je ne lui ai jamais appris à faire cela!»
«Je ne lui ai jamais appris à
faire cela!»
La phrase devrait bien allumer quelques voyants dans le cerveau de nos chers Geeks hallucinés ou de nos politiques, mais il n’en sera bien évidemment rien. «L’expérience» ne connaîtra aucun frein, aucun contrôle, aucune limite.
Trop de débouchés prometteurs sans doute.
Et puis, «on arrête pas le progrès».
La phrase devrait bien allumer quelques voyants dans le cerveau de nos chers Geeks hallucinés ou de nos politiques, mais il n’en sera bien évidemment rien. «L’expérience» ne connaîtra aucun frein, aucun contrôle, aucune limite.
Trop de débouchés prometteurs sans doute.
Et puis, «on arrête pas le progrès».
Moi, robot
Ce sera alors le grand moment du transhumanisme, ou l’algorithme sera suffisamment élaboré pour pénétrer la chair humaine, l’esprit humain, pour venir «l’augmenter» comme ils disent, et faire naître enfin ce surhomme tant attendu.
Le transhumanisme représente littéralement le graal, puisqu’il fait naître la possibilité de l’immortalité.
Absorbé par la machine, l’homme ne sera plus biodégradable.
Toutes les disciplines qui servent cette utopie délirante vont donc pouvoir compter sur un financement illimité, notamment des grabataires terrorisés de l’oligarchie globalisée. Qui veut mourir alors qu'il est milliardaire ?
Et à la fin nos ultralibéraux de clamer:
«On vous l’avait bien dit que ça
finirait par marcher !», un pied fièrement posé sur le cadavre de
notre humanité.
«Il se peut que le progrès soit le développement d’une erreur», avait dit Jean Cocteau.
Mise en ligne par
entrefilets.com, le 9 février 2017«Il se peut que le progrès soit le développement d’une erreur», avait dit Jean Cocteau.
1 Qu’est ce que le Transhumanisme ? Version 3.2
2 «Contre l’abolition de l’homme»
3 «Intelligentsia et servitude globalisée»
4 «Retour sur le fiasco libéral»
5 «La frontière, le Système et le porno»
6 Près de huit heures par jour rivé à un écran
7 Le sexe avec les robots, ça pourrait commencer dès 2017
8 Créer une relation affective avec un robot n’est pas de la science-fiction
9 Quelqu’un m’attend à la maison
10 The uncanny valley
11 Pourquoi la victoire d’une intelligence artificielle au poker est plus inquiétante qu’il n’y paraît
Source
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