jeudi 7 mars 2019

Ancre



Je m’endors à côté de lui. Ca n’a l’air de rien. Vous êtes des milliers à vous endormir à côté de quelqu’un, sans y penser, pour un instant ou pour toute la vie. Je ne dors pas seule. Je ne dors pas avec les gens. Je n’ai pas de gens avec qui m’endormir. Je n’en cherche plus. J’ai choisi d’être seule. Je subis l’insomnie. Je m’endors avec lui. Quelque chose a rendu les armes. Je me rends vulnérable, je n’ai plus peur. Il est tard quand nous fermons les yeux. Il y a eu la ville, les gens, le désir, la lumière, pourtant je m’endors. Tout est calme. Sa présence n’est pas un écran de fumée, mes peurs ne se cachent pas. Elles ont leur place dans le lit. Nous les accueillons. Elles se font une place au bout de nos pieds et se pelotonnent, tranquille. Il n’est pas un miracle, il n’est pas mon sauveur. Il dompte dans la douceur les hurlements effrayés qui s’échappent de ma peau dès qu’on la touche. Je m’autorise à dire oui. Je préferais dire non, sans réfléchir, avant lui. Non. NON. Pourquoi tenter le diable en osant dire oui ? J’ai confiance. J’ai envie.

J’accepte de dire ce que je ressens. Je ne veux plus prétendre. J’accepte d’être juste moi, j’accepte que ce ne soit pas parfait, que ce ne soit pas exactement à son goût. Je prends le risque de montrer mon intérieur si barricadé, il y a là les restes pourris des charognes anciennes, là mon insécurité et mon dégout de moi même, je donne visite guidée du petit musée de mes horreurs personnelles. A droite, à l’étage, mon humour pourri et ma notion toute personnelle de l’ordre, dans l’armoire du couloir mes rêves rangés du plus sage au plus loufoque, tout en haut de la bibliothèque une collection de mots préférés et de déclinaisons latines oubliées. Mon intérieur est biscornu, mais solide. Lui m’emporte dans des descriptions minutieuses de souvenirs lumineux, je me retiens de pleurer lorsqu’il me raconte les heures mortes et les âmes laides Nos mots ne se heurtent jamais, ils font sens ensemble, nous parlons la même langue. Je vois des signes, je vois dans ses yeux miroir l’alignement de nos crânes. Souvent, je veux hurler MOI AUSSI.
Je m’oblige à penser que cela ne peut pas durer. Je ne sais pas si on guérit un jour d’avoir été abandonné. J’élabore les histoires les plus moches, je me les raconte en secret, je vis avec l’idée de ne pas mériter. Mais parfois, je me laisse aller, mon armure se transforme en manteau coloré, j’arrive à renvoyer mon cynisme au panier, mon angoisse derrière la porte, je profite, tout se tait. C’est là que je m’endors, sans doute. Quand j’accueille l’inconfort de ne pas pouvoir deviner. Quand j’accepte, peut-être, et sans vouloir employer de mots éculés, d’être regardée en entier. De remettre cette histoire dans les mains expertes du temps, de la marée, qui savent polir ou détruire les verres les plus émoussés. Je m’endors contre lui, je déteste ca d’habitude tu sais. Je m’endors avec sa main posée sur moi, ses cheveux cachent ses yeux, je n’ai pas le temps de détailler son visage, je dors déja. Je n’ai plus peur. Je voudrais toujours me souvenir de cela.

DariaMarx

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