Le domaine de la religion est immense et,
par endroits très sauvage, mais il ne manque certainement pas de
chemins. Il n'y en a même que trop. Certains seraient plutôt du
genre grandes routes, d'autres du genre pistes à peine
discernables. Chaque secte, et en fait chaque innovateur
spirituel, taille une nouvelle route à travers la jungle, plante
des poteaux indicateurs, tente de dessiner une carte
géographique, un plan des méandres de la route avec ses relais
et lieux de repos, et essaie de donner une certaine idée de sa
destination. Il y en a tant, de ces chemins! Ils se croisent ou
restent parallèles, ils convergent ici et divergent là-bas. Mais
où mènent-ils ? Voilà la question.
Il y a quelques siècles, pour la grande
majorité des gens la scène religieuse était bien moins
compliquée. On était encore loin de l'étude des religions
comparées et de l'explosion de littérature sur les diverses
croyances dans le monde (d'abord réservée aux érudits puis
vulgarisée). Presque partout, presque chacun adoptait tout
naturellement la religion qui était celle de sa famille et de
son groupe social depuis des temps immémoriaux. En fait, c'était
la seule vraie voie, et la seule sacrée. On était persuadé que
les autres religions et autres sectes (dans la mesure où on en
entendait parler) ne menaient nulle part, ou plus
vraisemblablement qu'elles conduisaient à des régions très
impies et malsaines, tout à fait en dehors de la carte.
Mais de nos jours, pour la plupart d'entre
nous, la situation est loin d'être aussi nette et simple. Les
voies entre lesquelles il nous faut choisir se multiplient à une
vitesse ahurissante, et beaucoup d'entre elles sinon la plupart
traversent des régions où psychologie, psychothérapie et
spiritualité sont étroitement mêlées. Entrez dans une librairie
spécialisée dans la spiritualité, et vous verrez ce que je veux
dire. Vous verrez les livres empilés du sol jusqu'au plafond,
par milliers. L'ennui, c'est que tant que vous n'avez pas
vraiment expérimenté l'une de ces nombreuses voies, principales
ou secondaires, qui se disputent votre clientèle, vous ne pouvez
pas savoir où elles mènent. Et quand finalement vous arrivez au
bout de l'une d'entre elles (si jamais vous y arrivez après Dieu
sait combien d'années ou toute une vie) il est un peu tard pour
en essayer une autre. Dans ce cas, comment pouvez-vous découvrir
laquelle de ces voies est la vôtre, celle qui vous convient
vraiment, qui va vous combler, vous conduire à la vérité ultime,
apporter une réponse à tous vos problèmes ?
Je crains bien qu'en réalité, il ne soit
pas question de choix délibéré, mais de chance. C'est par hasard
que l'on tombe sur un merveilleux livre chez des amis, c'est par
hasard que l'on rencontre quelqu'un qui adore un maître
extraordinaire, ou que l'on reçoit par la poste un imprimé
annonçant une réunion qu'il ne faut absolument pas manquer. Et
ainsi on se lance sur une voie un peu par accident, on pourrait
dire de manière irresponsable. Nous faisons preuve de plus de
prudence et de circonspection avant d'investir dans une batterie
de cuisine, sans parler de vêtements ou d'une maison!
Que peut-on faire face à cette situation
absurde ? Peut-on l'éviter ? Oui. Et je vais précisément montrer
comment dans ce chapitre.
D'abord, nous devons regarder la carte
religieuse de plus près. Jusqu'ici, j'ai laissé entendre qu'il
n'y a pas de modèles standard pour ces nombreuses voies,
qu'elles n'ont pas grand choses en commun, pas de direction
commune. En fait, ce n'est pas tout à fait exact. Elles ont
toutes le même but principal qui est de vous permettre de
partir. Toute la raison d'être d'une route est de vous permettre
d'aller ailleurs, de quitter le lieu où vous êtes en ce moment
pour vous retrouver dans un autre endroit éloigné dans l'espace
et dans le temps. Ce fait formidablement évident n'est pas
révélé à l'étudiant "objectif" des religions comparées qui
regarde toute la scène de très haut : pour lui, l'enchevêtrement
des voies lui apparaît dans son ensemble, à une certaine
distance, et ne révèle donc aucune trame de base commune à
toutes. Mais pour le voyageur sérieux sur le terrain, pour le
chercheur spirituel engagé quel que soit son "niveau", le plan
est toujours en forme de roue. Il se trouve toujours ICI au
moyeu de la roue, et toutes les routes, et en particulier la
sienne, vont, comme les rayons d'une roue, du centre vers une
jante qui s'appelle AILLEURS.
Et voici les questions qu'il se pose :
suis-je exactement dans la bonne direction ? A quelle distance
se trouve le but ? Combien de temps me faudra-t-il pour
l'atteindre ?
Questions auxquelles il n'y a, hélas!, que
peu de réponses claires. Comment le pauvre voyageur peut-il en
juger ? La réputation et la popularité d'une voie ne prouvent
pas son caractère pratique. En fait, plus une route ou une voie
sont larges, bien asphaltées et très fréquentées au début, plus
il y a de chances qu'elles deviennent plus longues et plus
difficiles par la suite. Le terrain peut devenir si mauvais et
les passages dangereux si décourageants que très peu de
voyageurs arrivent ou disent être arrivés au but, dont les
délices inimaginables sont sensés être proportionnels aux
rigueurs du voyage. A vrai dire, on a l'impression que si un
chemin est court, sans aspérités et direct, il est impossible
qu'il mène à un endroit où il vaille la peine d'aller.
Nous allons voir que cette impression est
entièrement fausse, que ce chemin existe bel et bien, et qu'en
outre, il est extrêmement facile à trouver et à emprunter. C'est
notre résistance congénitale à l'évidence qui nous persuade du
contraire.
Mais avant d'examiner (et de nous engager
sur) ce chemin le plus court, voyons un peu ce que l'on peut
appeler son contraire, le chemin inverse que vous et moi avons
emprunté il y a si longtemps que nous l'avons oublié. Je pense
qu'il vaudrait mieux que je parle ici en mon nom, et non pour
vous. Mais en écoutant, vérifiez dans quelle mesure mon histoire
ressemble à la vôtre.
Je vais essayer de reconstituer mon voyage
initial en remontant aussi loin que je peux. Mon histoire
commence à ma naissance. En réalité pour moi-même, à 0
centimètre de moi-même, je ne suis pas né du tout, contrairement
à la version donnée naturellement par mes parents, à quelques
centimètres de moi. Si je me fie uniquement à mon expérience de
première main, je n'ai certainement pas commencé sous la forme
d'un bébé, ou d'un être humain, ou de quoi que ce soit. Au
contraire, j'étais cette Non-Chose, cette Capacité, cet Espace
sans commencement, prêt à accueillir toutes les choses sans
cesse changeantes. Au début, évidemment, celles qui m'occupaient
étaient relativement inorganisées, mais très vite elles ont
commencé à se mettre en ordre, et j'ai pu distinguer le sein
nourricier, des mains caressantes, ces petits bras, jambes,
doigts et orteils qui me fascinaient, la balle chatoyante et le
hochet bruyant, des visages souriants ou sombres, etc. ... Et
toutes ces impressions - ce merveilleux monde de goûts, de
sensations, d'odeurs, de sons, de couleurs et de mouvements -
tout cela se présentait à moi ici - même, ce n'était pas séparé
de moi, tout allait et venait dans mon Espace. Certes, de plus
en plus de choses, et des choses de plus en plus variées et de
mieux en mieux organisées ne cessaient d'apparaître dans cette
Infinitude. Mais je n'étais pas l'une de ces choses. Comment
l'aurais-je pu, moi qui était leur demeure ? Bref, j'étais
encore moi-même, encore chez moi, encore avec moi-même et non
pas à côté de moi-même. Ce qui veut dire que j'étais encore sain
d'esprit.
Mais le genre humain avait ses propres
vues sur ma santé d'esprit naturelle. Peu à peu, mes parents
m'ont persuadé de m'établir à côté de moi-même et d'adopter leur
point de vue, de quitter ma maison et de faire le voyage décisif
d'ICI où je me perçois comme Non - chose, jusque là-bas où je
parais être Quelque - chose très substantiel. Ils m'ont enseigné
que le personnage dans le miroir qui me fixait du regard n'étais
pas ce que je croyais, c'est - à - dire "ce bébé là-bas", ou
"mon petit copain qui habite dans l'autre salle de bains
derrière la glace", mais quelqu'un appelé Douglas et en réalité,
moi. Avec l'aide d'amis et de parents, ils m'ont enseigné (et il
m'a fallu de nombreuses années et beaucoup de larmes pour
apprendre la leçon parfaitement) à me voir moi-même non plus à
partir de là où je suis, mais de là où ils étaient, comme si je
me regardais à travers leurs yeux et de leur point de vue.
J'avais du mal à apprendre. Pendant des
années, j'ai fait des allées et venues le long de cette première
route d'un peu plus d'un mètre, incapable de décider où j'allais
finalement m'installer. Parfois, surtout lorsque je jouais tout
seul, heureux, je ne demandais pas mieux que de rester chez moi.
D'autres fois, surtout lorsque j'étais en compagnie, soumis à
leurs critiques et donc beaucoup moins à l'aise, je me situais
là-bas, et en me retournant pour me regarder, je "voyais" ce que
je pensais que les autres voyaient : un être humain entier comme
tous les gens qui m'entouraient. En réalité, bien sûr, je ne
voyais rien du tout, c'était de l'imagination. Ou plutôt de
l'hallucination, car je supposais sur moi, au centre, ce qui se
trouvait au loin. A mesure que les années passaient, je passais
de plus en plus de temps là-dehors à me retourner pour regarder
anxieusement Douglas Harding, et de moins en moins de temps ici
où je suis Accueil pour les autres, jusqu'à ce que finalement
j'en sois arrivé à vivre une vie vraiment ex - centrique, comme
un exilé, comme piégé, emprisonné, si près et pourtant si loin
de chez moi. Passer à côté, de près ou de loin, c'est toujours
passer à côté, bien sûr, et de fait, j'étais devenu complètement
étranger à moi-même. C'était comme si je n'avais jamais été chez
moi, comme si je n'avais jamais connu mon pays d'origine. Si
jamais une âme a été perdue en enfer, c'était bien moi. Ecoutez
Maître Eckart, il raconte mon histoire : "Si jamais un homme
s'est perdu, c'est parce qu'il a un jour quitté sa Demeure et
s'est laissé entraîner à s'installer à l'étranger de manière
trop permanente. Beaucoup ont cherché la Lumière et la Vérité,
mais ils les ont cherchées au loin, là où elles ne sont pas.
Finalement, ils sont allés si loin qu'ils ne peuvent plus
retrouver le chemin pour rentrer. Et ils n'ont pas trouvé la
Vérité, car la Vérité est dans leur Demeure et nulle part
ailleurs."
Je corrige : la Grâce, sous la forme de
souffrances et d'un désespoir extrêmes, m'a permis d'ouvrir une
brèche dans les murs de ma prison et de retrouver le chemin de
Chez Moi. Mais, évidemment, on ne fait pas le voyage de retour
une fois pour toutes. On est obligé de faire autant d'allées et
venues que pour le voyage de départ. Le voyageur endurci finit
par connaître la route par coeur, sa longueur, sa direction et
les véhicules disponibles. Contrairement à ces détenus qui se
sont habitués à leur vie en prison, il connaît tout de la voie
d'évasion. La route pour rentrer chez lui, il la décrit ainsi :
Elle ne mène pas d'Ici à Là-bas, mais de La-bas à Ici. En d'autres termes, elle est centripète et non centrifuge. Elle est très courte : sa longueur est la distance entre ce visage que je vois dans le miroir et l'absence - de - visage que je vois ici. Ou encore, la distance entre vous, là-bas, qui êtes en train d'enregistrer l'une de mes multiples apparences régionales, et moi-même, ici, qui suis la Réalité centrale, la source de ces apparences. Elle est très droite, comme nous allons le voir, et seul un chercheur fermement décidé à ne pas trouver la vérité pourrait s'égarer. Enfin, la route est bonne, et toutes sortes de véhicules et de moyens de transport sont prêts à ramener le voyageur chez lui.
En voici un. Je regarde mon visage dans
mon miroir de poche et je remarque ce qui est évident : il est
petit, il est compliqué, il a un âge et il tourne le dos au
monde. Ensuite, je laisse mon attention voyager le long de mon
bras tendu, jusqu'à ce qui est ici, de mon côté de ce bras, et
j'observe que ce que j'y trouve est son contraire, à tous les
égards. Ici, je trouve Celui qui est illimité, absolument clair,
sans âge, conscient de lui-même en tant que tel, et qui jamais,
jamais, ne tourne le dos à qui que ce soit. Ici je trouve, je
suis, l'Habitacle qui accueille ce bras, cette main, ce miroir
et ce visage, ce visage que je garde là-dehors et qui ne peut
jamais se rapprocher beaucoup plus de moi.
"Puis-je me trouver Moi-Même dans un
miroir ?"demande Ramana Maharshi. Et il poursuit : Parce que
vous regardez toujours vers l'extérieur, vous avez perdu de vue
le Soi et votre vision est extérieure... Tournez votre regard
vers l'intérieur." Et il nous assure que ce n'est pas difficile
: "L'idée que voir d'autres choses est facile mais voir à
l'intérieur est difficile est absurde. C'est le contraire."
Et voici quelques méthodes pour rentrer
chez soi, un second véhicule pour faire ce voyage d'un mètre.
Je place mes mains devant moi en position
verticale, à une distance de 30 centimètres environ l'une de
l'autre. Puis très lentement, je les rapproche de moi tout en
maintenant mon attention sur l'espace qui est entre elles,
jusqu'à ce qu'elles disparaissent de chaque côté de moi. Et je
revêts cet espace, je deviens cet espace qui ne mesure plus 30
centimètres mais est devenu infiniment vaste et profond.
Je viens de vous présenter deux des
innombrables véhicules qui vous attendent, prêts à vous
transporter en toute sécurité et confortablement à travers ce no
- man's - land d'environ un mètre qui sépare votre apparence
là-bas de votre Réalité ici. Je vous en prie, essayez-les, ou
trouvez le vôtre. Mais pour l'amour de Dieu (c'est à dire pour
vous-même) ne manquez pas de faire ce voyage. C'est le seul qui
soit important. Il vous conduit de ce que vous paraissez être à
ce que vous êtes, à savoir Capacité Consciente d'elle-même, et
au-delà même de la Conscience il vous mène à l'Abîme
inconnaissable d'où la Conscience jaillit éternellement et sans
effort. Bref, il vous ramène Chez Vous.
En fin de compte, évidemment, ce chemin le
plus court et le plus direct qui soit est encore plus court et
plus direct que ce que j'ai dit. Il ne mesure rien du tout.
Comme le fait remarquer Ramana Maharshi : "Il n'est pas question d'atteindre le Soi... Vous
êtes déjà cela." Somme toute, c'était
seulement en imagination que je pouvais sortir de moi et aller
voir dehors ce que les autres pensaient de moi. Il est
impossible de s'échapper d'Ici, parce que j'emporte Ici avec moi
partout où je vais. Ce qui veut dire que je n'emporte Aucune -
chose, rien avec moi si ce n'est cette Conscience que je suis.
Ainsi, en conclusion, le chemin que nous
parcourons est aussi long ou aussi court que nous le voulons. Et
toutes les voies, y compris la nôtre d'un mètre, se réduisent
finalement à 0 centimètre, étant donné qu'il est impossible de
quitter ou d'approcher le Soi. De sorte qu'au bout de toute voie
spirituelle authentique, le voyageur fatigué réalise qu'il n'a
jamais quitté sa Demeure, ne serait - ce qu'un instant, et que
la voie elle-même, courte ou longue et ardue, était tout à fait
fictive.
Douglas Harding
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