dimanche 26 avril 2015

La deuxième vie d'Olivia

Ayahuasca, la voie des chants


L'ayahuasca, comme la plupart des psychédéliques, dérange et c'est peu de le dire. En France, les associations de défense familiale l'ont clairement dans leur ligne de mire et il n'est pas exagéré d'affirmer que ce psychotrope naturel est diabolisé par les groupes anti-sectaire comme la Miviludes, soupçonnée d'accointances avec le lobby pharmaceutique (1) et Psychothérapie Vigilance.

Ces associations et autres missions intergouvernementales développent un discours particulièrement agressif et manichéen envers les pratiques néochamaniques, les médecines parallèles ainsi que l'ayahuasca qu'elles considèrent comme des dérives thérapeutiques à caractère sectaire susceptibles de favoriser l’assujettissement et la manipulation mentale.
Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel n'hésite pas à mettre au pas les émissions de télévision présentant de manière positive le breuvage visionnaire (2) tandis qu'une certaine presse dénonce sans nuance le danger mortel que pourraient courir les individus vulnérables séduits par des ateliers chamaniques clandestins organisés sur le territoire français. Au Pérou, c'est l'ambassade de France à Lima qui, sur son site internet, met en garde ses ressortissants contre le risque encouru par la prise d'ayahuasca classée par la France au registre des stupéfiants depuis 2005 : "L’usage de l’ayahuasca peut avoir des conséquences médicales graves, susceptibles d’entraîner la mort. La maîtrise du processus d’initiation au chamanisme n’est nullement garantie".
Et c'est vrai, il ne faut pas se le cacher, dans certaines conditions, notamment en cas d'association avec certaines médications ou guidé par des personnes incompétentes, l'ayahuasca peut se révéler dangereuse, voire mortelle. Il ne s'agit pas d'une drogue récréative et ses effets secondaires tant au niveau psychologique que physique peuvent s'avérer particulièrement inconfortables. Impossible non plus d'ignorer le marché touristique qui s'organise autour des plantes de pouvoir en Amérique Latine où il est souvent très facile pour le touriste mal informé à la recherche d'un "one-shot" psychédélique de tomber sur un plan foireux particulièrement dangereux pour sa santé mentale et son portefeuille. Un constat fort bien résumé par Corinne Sombrun initiée depuis plusieurs années au chamanisme sibérien, « comprendre le chamanisme prend du temps. Ça ne se saisit pas en un voyage et pas avec n’importe qui. En Mongolie, en quelques années, de trente chamanes on est passé à plus de trois cents! Certains ont compris le filon. »(3)
Pourtant, si la médiatisation récente de l'ayahuasca est inévitablement responsable d'un certain tourisme psychédélique, La prohibition des psychédéliques en occident n'y est pas étrangère non plus et de loin. L'interdiction et la répression encourage un "marché noir" tout azimut de l'ayahuasca et permet à des initiatives douteuses d'exploiter la méconnaissance d'un public trop souvent sous-informé sur un sujet qui mériterait pourtant autre chose qu'une censure d'Etat. Même si les cas mortels sont relativement rares et si les circonstances exactes de la mort sont souvent mal connues et mal documentées, des décès liés à la pratique de l'ayahuasca ont effectivement défrayé la chronique ces dernières années.
Doit-on de ce fait criminaliser l'usage de l'ayahuasca sous prétexte de sa dangerosité présumée et se fermer à l'apprentissage d'un savoir ancestral ? Si l'on tient vraiment à dénoncer le compte tragique des risques liés aux "dérives thérapeutiques" du chamanisme, il n'est pas inutile de les mettre en parallèle avec les déficiences de notre système médical moderne : aux Etats-Unis, chaque année, plus de 98 000 personnes meurent des suites d'une erreur médicale (4). Environ 10.000 en France, et 2.000 en Belgique. Doit-on pour autant tourner le dos à la médecine occidentale et à sa technologie ?
Au-delà de la dangerosité supposée de l'ayahuasca, c'est peut-être aussi la peur de l'inconnu, de l'accès au savoir par un phénomène irrationnel qui pose réellement problème. Les institutions scientifiques et les autorités sanitaires de nos sociétés modernes se font fort de défendre la "vraie nature de la réalité et de la conscience" –définition à laquelle nous devrions tous souscrire– contre le primitivisme archaïque et rétrograde de la pensée magique du chamanisme.
Pourtant, l'ayahuasca ne se résume pas aux histoires glauques et effrayantes titrées à la une de certains médias orientés et caricaturées par des associations trop bien-pensantes. C'est aussi et surtout un kaléidoscope d'histoires extraordinaires. Des histoires de pouvoir, de découvertes intérieures, de savoir oubliés, d'accomplissements personnel. Des histoires de courage et de dépassement de soi aussi, comme celle qu'Olivia a eu la gentillesse de partager en toute simplicité avec nous.

La deuxième vie d’Olivia

J’ai entrepris une formation de costumière il y a deux ans. En parallèle, j’aimais beaucoup la danse aussi. Je désirais énormément m’impliquer dans ces deux projets mais je n’arrivais pas à m’y consacrer, tout simplement parce que j’étais sous la dépendance de drogues et de médicaments. Je consommais de l’héroïne et du Subites, un substitut qui permet d’éviter provisoirement la douleur du manque mais qui n’apporte aucune sensation de bien-être. Je ne voulais pas prendre de méthadone car j’ai vu trop de mes amis se détruire avec ce produit. Bien avant ça, je ne faisais pas d’étude, je vivais à l’extérieur avec les gens que j’aimais, je sortais beaucoup et je prenais absolument toutes les drogues que l’on trouvait sur le marché. Je buvais beaucoup aussi et maintenant je peux dire que je m’étais engagée dans une vague d’autodestruction. J’avais besoin d’aller toujours plus loin dans la défonce, dans la perte de contrôle, de noyer mon esprit en fait. Il y avait trop de choses, je n’arrivais pas à gérer ce qui se passait dans ma tête. J’avais juste besoin de ça, de trouver de la chaleur. De me retrouver dans un désert de sentiments et d’humeur. Que tout s’arrête. Je me suis enfoncée si profondément dans ce processus que j’ai vraiment cru que mon cerveau allait exploser. C’était pour moi un signal puissant. Un signal de survie qui me disait clairement que cela ne pouvait plus continuer comme ça. Aussi bien mentalement que physiquement car mon corps était vraiment dans un sale état. J’ai alors pris la décision d’arrêter. Une année pendant laquelle je me suis isolée. Avec le temps, j’ai appris à reprendre contact avec le monde, avec les gens et la société. Il m’a fallut tout réapprendre. Peu à peu, je me remettais à penser à ce que j’aimais faire. Deux ans plus tard, j’avais à peine eu le temps de savourer tout ça, de retrouver le sourire et la joie de vivre, que l’héroïne me retrouvait. Je plongeais encore. Pourtant je ne voulais plus revivre le même scénario que la première fois. Je me suis accrochée pour ne pas me marginaliser, pour continuer à mener une vie sociale, mais tout était parasité par l’héroïne. Je me sentais complètement prisonnière, enchainée à cette drogue qui m’enchainait à terre.
C’est à ce moment que j’ai rencontré Reshin et que ma vie a changé. J’ai participé à quelques cérémonies en Hollande pour ensuite partir avec lui au Pérou pendant un mois dans une communauté Ashaninca. Ce qui, en plus du voyage en avion, représente quand même huit heures de trajet en voiture, en pirogue et à pieds à partir de Pucallpa. Quand, enfin, je suis arrivée à destination, j’avais vraiment l’impression d’être au bout du monde, dans un coin de paradis aux abords d’une réserve naturelle. C’était trop bien ! Un grand plateau avec une maison en bois et un peu plus bas, une rivière cristalline et une plage. En même temps, je savais que je ne pourrais plus faire marche arrière. Pas moyen de partir ou de m’enfuir et de traverser la jungle toute seule. Avant de partir de Pucallpa, Reshin m’a demandé de lui donner les médocs et l’herbe que j’avais pris avec moi. Ce qui était franchement difficile pour moi car je fumais tous les jours. Le premier jour, je n’ai rien senti car mon esprit était trop occupé par le voyage. Tout était tellement trop beau que je n’ai pas réalisé, mais dès la deuxième nuit, j’ai bien compris ce qui était vraiment en train de se passer. J’avais diminué au maximum les médicaments avant de partir et j’avais fumé mon dernier alu avant de partir. Je consommais tous les jours mais je m’empêchais d’aller trop loin dans la consommation parce que je désirais garder une vie sociale. Je ne suis donc pas arrivée là-bas comme une grosse tox comme je l’étais quelques années avant. J’avais déjà fait un travail en amont et je voyais bien qu’il y avait une porte de sortie, une guérison possible. Sur place, j’avais trois chamanes rien que pour moi; Reshin et deux Shipibos qui avaient aussi fait le voyage pour voir le lieu et rencontrer la communauté ashaninca. Je me disais, « avec tout ça, si tu n’y arrives pas, ça craint ! ». Les cérémonies se sont enchainées tous les soirs pendant trois jours à l’exception de la première journée. Le quatrième jour, ils m’ont fait prendre une plante dépurative. J’ai gerbé pendant dix heures. C’était super trash et j’ai bien cru que j’allais mourir. J’étais vraiment pitoyable. Je rampais par terre tout en réalisant que je vomissais toutes ces années de consommation. Dix ans de consommation. Tout ce qui était chimique dans mon corps était en train de sortir. Après ce nettoyage, je ne pouvais plus prendre d’ayahuasca car la plante dépurative était toujours active en moi. C’était infernal car sans ayahuasca, je ne dormais plus. Des nuits sans fin où tu as juste envie de te couper les bras et les jambes. Le lendemain, je pleurais, j’implorais les chamanes de me donner une plante qui pourrait calmer mes spasmes. Il devait bien y en avoir une pour moi dans toute cette forêt. Mais non. Ils me disaient invariablement que tout se passerait bien. J’étais juste dégoutée qu’ils me laissent souffrir et j’avais l’impression que toute cette histoire ne marcherait pas pour moi. Pendant dix jours, c’était l’horreur totale. J’avais envie de partir tous les soirs mais j’étais trop faible pour pouvoir entreprendre quoi que ce soit et de toute façon, je ne savais même pas comment faire pour rentrer chez moi. Je subissais le manque, mais petit à petit, j’apprenais à regarder le temps qui passe et progressivement, nuit après nuit, j’ai finalement retrouvé le sommeil. Au bout de ce processus, le moment est arrivé où je n’ai plus senti le manque et j’ai remercié tout le monde, les plantes aussi. J’avais juste envie de crier mon amour à tout le monde. Dissoudre dix ans de ma vie en quelques jours. C’était incroyable pour moi. Par la suite, nous sommes revenus une petite semaine à Pucallpa pour reprendre des forces, manger autre chose, voir des gens. Le bonheur absolu après dix jours d’enfer face à moi-même. De retour chez les Ashanincas, J’étais en forme. Mon corps était profondément nettoyé. Et les cérémonies qui ont suivies étaient lumineuses, avec de belles visions. Un peu comme des cadeaux offerts par les esprits de l’ayahuasca pour avoir franchi un certain cap.
Alors évidemment, de retour chez moi, je me disais, « whaow, super, je suis clean, tout va bien, c’est génial », et puis la question s’est rapidement posée de savoir si j’étais réellement prête à faire ce tournant dans ma vie. Suis-je prête à lâcher la dope et à me tourner vers autre chose ? Suis-je vraiment prête à faire cela ? Je continue donc à faire des cérémonies pour continuer le travail parce que ce n’est pas rien d’arrêter la consommation du jour au lendemain. Et depuis les épreuves se sont succédées. Ce que je cherche à dire, c’est que la libération ne se fait pas en un seul combat. Il y a plusieurs portes à franchir pour se libérer de 25 années d’autodestruction. Je dois tout réapprendre. Je n’ai plus aucun repère, plus rien pour me soutenir et je ne peux évidemment plus utiliser les même trucs qu’avant car il est hors de question de faire marche arrière. Les cérémonies d’ayahuasca me donnent cette force pour pouvoir me réinventer un nouveau chemin. Cela me montre des choses, je comprends mieux ce qui se passe, je me comprends mieux. Ça me montre aussi que je ne suis pas seule, que j’ai des alliés, des forces particulières qui m’ont été données lors de mes premières cérémonies au Pérou et sur lesquelles je peux compter pour travailler. Dans les cérémonies, ça se concrétise très bien, tout est en images, c’est comme une sorte de rêve. Je perçois clairement mes côtés sombres, ma part d’ombre qui peut se concrétiser sous forme d’entités négatives. Grâce à l’ayahuasca, je peux les voir; elles portent un visage humain, animal ou même hybride. Mes alliés sont des animaux ou des personnages particuliers. Des choses que l’on me donne aussi. De la lumière pour combattre. Des ailes pour avancer. Je réutilise ensuite ces forces dans ma vie de tous les jours. Bon évidemment, ce n’est pas si évident de se dire qu’on a un jaguar et un aigle en cas de coup dur, mais il m’est arrivé récemment d’être confrontée à l’héro et j’avais juste envie d’y aller. J’ai vraiment dû danser pour combattre ce désir et pour la première fois je les ai invoqués avec intensité et ils sont venus. J’ai senti leurs présences et leur façon particulière de s’incorporer en moi, de se placer dans mon visage et le transformer, exactement comme dans l’ayahuasca. Ça m’a aidé à traverser l’épreuve. Ces cérémonies m’ont donné envie de continuer à travailler sur moi-même, à faire grandir l’amour que j’ai pour moi-même et pour les autres. A me faire évoluer dans le monde et c’est un combat de tous les jours, d’une vie en fait. C’est pour moi la plus belle des aventures, celle de pouvoir se connaître et de s’offrir au monde.


Karmatoo
Karmatoo © Karmapolis - Janvier 2013

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