Paris, Cimetière du Père Lachaise, nuit du 17 au 18 octobre 2018. 3 heures du matin. A la frontière entre la 13ème et la 20ème division, entre l’Allée de la Vierge et l’Avenue de la Chapelle.
Je suis venu visiter la tombe de mon père le 17, un jour avant son anniversaire, je préfère être seul pour pouvoir me recueillir tranquillement. Je suis arrivé tard dans le cimetière, j’étais épuisé de la tournée. Je me suis assis dans un coin un peu au dessus, j’attendais que des gens partent pour pouvoir me rapprocher mais ils restaient là à bavarder. Alors, sans m’en rendre compte je me suis endormi, j’ai sombré dans un sommeil lourd et quand je me suis réveillé c’était la nuit noire. Je panique un peu au début puis je me dis que c’est une sacrée chance d’être là, tout seul, au milieu du Père Lachaise. J’observe autour de moi et en tendant l’oreille intérieure, je décèle comme de faibles grognements, des chuchotements indéchiffrables d’ombres de fantômes. Ici les fantômes de fantômes pullulent dans l’indifférence… Les gens qui vous portaient un peu dans leur cœur sont eux-mêmes parfaitement oubliés depuis des décades. Des grandes lucioles, fugaces et merveilleuses, illuminent une fraction de seconde des noms obscurs sur des caveaux dévastés. La lune ne s’est pas levée. Tout reste dans l’obscurité indécise de la pollution lumineuse d’une mégapole. Allée de la Vierge, il y a une tombe fraîche entourée d’une aura un peu plus vive, plus définie, qui irradie d’une lumière tendre : c’est celle de mon père, Jacques Higelin. A 20 mètres de là il y a une autre tombe, un peu futuriste, post moderne, c’est celle d’Alain Bashung qui vibre elle aussi d’une lueur particulière. Je suis sûr que les âmes immenses des deux chanteurs ne sont pas localisées dans ce lieu précis : une part d’eux-mêmes est sûrement en train de vivre de nouvelles aventures dans d’autres dimensions flamboyantes, une autre est dans le cœur de tous ceux qui les ont aimés et une dernière reste, par curiosité et attachement, dans le vieux cimetière parisien : ils sont tous les deux d’anciens gamins populaires et sont fiers d’être entourés par un grand général, un chirurgien oublié et un politicien sulfureux de la troisième république. Je regarde mon portable, ça ne capte pas, il est trois heures du matin. Soudain mes poils se hérissent dru sur ma peau. Avec les chats sauvages, les hiboux et les rats, je suis le spectateur stupéfait d’un phénomène inexplicable: un arc lumineux gracieux, une espèce de brume électrique s’élève dans l’atmosphère et relie progressivement les deux tombes. Ca doit être une onde quantique qui permet aux deux esprits de se synchroniser. Il y a un frémissement dans l’air, et une voix, si reconnaissable, fait légèrement trembler le silence.