jeudi 26 février 2015

Qu’est ce qui me rendra heureux ?



Aujourd’hui, je suis au fond du trou, abîmé dans des pensées d’échec, d’une existence morne et insipide où les jours se suivent sans joie véritable. On m’a dit de faire des études afin de bien gagner ma vie. Je les ai faites, je gagne ma vie. Et après. En suis-je plus heureux ?

Le bonheur n’est pas dans ma maison, je respire la morosité, l’ennui. Je suis las, las de chercher la situation qui me rendra heureux. Le serais-je un seul jour ? Connaîtrais-je le bonheur ? Et si la vie n’était qu’ennuis parsemée de quelques moments de joie… Si fugaces. On m’a dit que je ne connaissais pas mon bonheur d’être sans soucis financiers, familiaux et de voisinages. Ca ne risque pas, je ne parle à personne, ou si peu, sinon pour dire des banalités. Comme une indifférence. On m’a raconté le bonheur d’être marié, d’avoir des enfants. Et tout cela, maintenant que je les ai me semble si futile. On m’a dit que je trouverai le bonheur dans la religion, j’ai rencontré des bouddhistes, des pratiquants du zen, des chrétiens. J’ai tellement l’impression qu’ils se racontent des histoires que je ne peux y adhérer. Rien ne m’appelle. Pourtant, j’ai suivi tous les conseils, tout ce qu’il fallait faire pour être heureux. Rien à l’horizon. Suis-je seul dans cet état-là ?…
Dans cet état-là…


Nous l’attendons demain et il ne vient pas. Nous nous en sommes faits une idée. L’idée du bonheur selon nos critères. Nous désirons cette magnifique voiture et un mois après l’avoir acheté, nous l’oublions, déjà sur une autre affaire. Nous désirons cette femme à la démarche élancée et au regard de jade et deux mois plus tard nous cherchons comment nous en débarrasser. Nous désirons ce superbe sac à main, il irait tellement bien avec notre robe vert acajou ! Nous désirons un enfant et quand nous l’avons, nous nous souvenons quand nous étions sans lui, libre, à aller au cinéma sans avoir à chercher quelqu’un pour le garder, à lire le journal sans qu’il vienne nous demander de jouer avec lui, à devoir… Nous aimerions tellement être blonde, les cheveux légèrement ondulés, comme les filles à la télé. Et puis nos cheveux poussent et les racines sont brunes. Nous aimerions être moins grosse, moins maigre, plus grande, plus fort, moins timide, plus virulent, moins peureux, …enfin plus heureux !
Alors le bonheur est-il possible ?

Dans ce bonheur là, dans cette quête, nous ne découvrons que nos insatisfactions, toujours frustrés, toujours en attente de la situation qui nous rendra heureux. Mais le bonheur glisse de nos mains alors qu’il nous semblait le tenir, enfin le posséder. Et la question revient sans cesse : pourquoi ne suis-je jamais comblé ? Rien ne nous satisfait pleinement sans qu’à un autre moment nous ayons un nouveau désir, le sentiment que quelque chose nous manque, comme si nous étions incomplets, incomblés.
« Qu’est-ce qui fera mon bonheur ? » revient à dire « qu’est-ce qui pansera ma blessure, mes manques ? »
Et sans le savoir, comme une vérité inconsciente nous pensons : ce qui comblera mon vide intérieur, ce qui masquera mes peurs et mes doutes, je l’appellerai bonheur.

Et nous nous sentons en manque de femmes, en manque d’enfants, en manque d’un nouveau voyage à l’étranger, en manque de nouvelles chaussures, celles du dernier cri, rouge et noire avec une virgule sur le côté.
Et cependant la frustration est reine.

Le bonheur est-il possible ?
Si nous nous posons cette question, c’est qu’il n’est pas là.
Où le chercherons-nous ?

Nous sommes comme Siddharta qui le cherchait partout sauf en lui-même ;
dans la religion, dans la mondanité, dans l’ascétisme, pour en définitive le rencontrer

au jour d’une extrême lassitude, à l’endroit du non-retour,
la tête dans les mains, sans plus aucun espoir envisageable,
dans le chant de la rivière qui le rappelle à lui-même.
… Sans plus aucun espoir

Nous partageons la vie en deux colonnes : celle des bonheurs : le succès, la reconnaissance sociale, le mariage, la famille, les voyages, la bonne santé. Certes un avenir ennuyeux, bien confortable, dans une maison à l’abri de tout incident, où tout est à sa place.
Et celle des malheurs : les accidents, les maladies, la dépression, les échecs, les pertes, la guerre, le chômage, le manque d’argent, le divorce,… Notre chance.
Peut-être nous conduiront-ils vers ce rendez-vous avec nous-mêmes. Nous sommes tellement endormis, pour utiliser un autre mot : tellement conditionnés, les yeux remplis d’idées rapportées que le seul moyen souvent que la vie a trouvé pour nous réveiller un tant soit peu de notre sommeil léthargique sont ces soi-disant malheurs.
Je ne le sais pas encore mais quelle chance, mon fils a fait une chute de six mètres de haut ! Nous avons pu enfin parler de toutes les souffrances qu’il n’avait pas pu exprimer…
Je ne le sais pas encore mais quelle chance, je me suis cassée la cheville, je me suis enfin donnée le temps de réfléchir sur ce que je vis…
Je ne le sais pas encore mais quelle chance, mon voisin m’a insulté, j’ai découvert mon incapacité à m’emporter, mon jugement concernant la colère, ma peur d’être sans contrôle.
Je ne le sais pas encore mais quelle chance, cette dépression de plus de dix ans, grâce à elle, je me suis retrouvée.
Le bonheur nous endort, nous nous empâtons, nous sommes trop confortablement installés dans notre sécurité matérielle, environnementale en d’autres mots :
dans notre sécurité mentale.

Nous nous endormons un peu plus chaque jour dans ce bonheur mental illusoire. Ce bonheur nous rend aveugle.
Il ne crée pas le choc. Nous ne nous remettrons pas en question, bien calfeutrés dans nos certitudes et nos points de vue étriqués. Nous préférons utiliser notre énergie à maintenir ce calfeutrage plutôt qu’à regarder tout ce que nous avons construit mentalement (comme idées) et matériellement pour nous donner l’illusion d’être heureux. Cependant, nous errons dans cette illusion sans savoir de quoi il s’agit réellement et en pensant être lucide à ce sujet. Nous ne savons pas que nous dormons. Pour avoir envie de sortir de cette ignorance, encore faut-il sentir que ce que nous vivons est étriqué. Qu’est-ce qui nous permettra de le sentir ? Un mal-être, un échec, un accident si toutefois nous ne retournons pas la responsabilité sur un autre.
Seul l’événement traumatique, par son côté « insécuritaire », peut nous renvoyer au questionnement Mais nous laisserons-nous toucher pas ce signe de la vie. Ou nous replierons-nous un peu plus, construirons-nous une nouvelle carapace ? Nous endurcirons-nous ?

« Seul est heureux celui qui a perdu tout espoir, car l’espoir est la plus grande torture qui soit et le désespoir le plus grand bonheur. » (Samkhya-Sutra, IV, XI, qui cite lui-même le Mahabharata).

Le bonheur sont nos échecs, nos dépressions, nos accidents. Car ce bonheur touche à ce que nous avons construit, à nos certitudes. Il sonne la cloche d’alarme, il nous demande de regarder là où nous en sommes, sans jugement. Il nous demande : « Ce que tu vis, cela te convient-il vraiment ? Ne t’es tu pas oublié ? ». Mais nous ne l’écoutons pas. Alors il sonne à nouveau et encore jusqu’à ce que son intensité arrive à notre seuil d’écoute. Nous nous sommes tant éloignés de nous, que nous ne l’entendons pas quand il sonne doucement, tout prêt de nous. Nous avons construit tellement de fortifications, de murs de protections et d’apparences, que pour les passer et arriver à nous parler, il doit être violent, douloureux. Il utilise tous les moyens qui se présentent à lui et nous touchera dans notre quotidien, dans notre vie ordinaire. Ce bonheur là frappe à la porte jusqu’à ce que nous l’entendions, jusqu’à ce que nous nous rendions compte qu’il frappe et que nous lui ouvrons.

Mais tant que nous dirons « Même pas mal ! », il s’intensifiera.

D’où vient-il ?
De ce qu’il y a de plus précieux : la vie même.

Il vient pour nous rappeler combien nous nous sommes niés et oubliés. Ce sont ces mêmes protections que nous avons construites qu’il nous demande de quitter, d’abandonner. Il n’agit pas pour nous détruire, mais pour casser nos fortifications fondées sur des certitudes et croyances toutes faites, vider nos jugements à l’emporte pièce. Et nous ramène à l’Ultime question : Qui suis-je ?

Son intensité sera toujours à notre mesure même si cela nous paraît parfois insupportable. Ce bonheur là déconstruit, défait, vide le trop plein.

Les mots paraissent implacables. Cependant, ils sont à la mesure de notre sommeil.
Et si notre chance était dans ce malheur qui nous percute maintenant. Dans cette situation incertaine, dans nos doutes.

Je ne dis pas non plus que le seul moyen existant pour nous réveiller soit nos difficultés, ce peut-être aussi une rencontre, un livre, une joie. Cependant, dans cette honnêteté qui nous traverse, nous nous rendons compte que la remise en question, la perception de notre enfermement sont impulsées de façon incontournable par un profond sentiment de manque (Qu’est-ce qui fait que je me sente si isolé, séparé des autres et du monde ?) , un doute sur l’existence (est-ce que je ne rêve pas ?) une angoisse sur le sens de la vie (A quoi tout cela sert-il ?,A quoi bon vivre ?)

Seule la souffrance nous percute dans notre confort quotidien. C’est notre chance, notre bonheur.

Il nous ramène vers cette présence à nous-mêmes par laquelle il nous est possible de regarder par ce regard libre d’idées et d’intentions, nos constructions mentales, nos certitudes, nos angoisses cachées par ces mêmes certitudes, notre manque masqué par cette recherche incessante du bonheur acheté.
Nous le voyons maintenant, ce bonheur, nous ne le trouverons pas sur le marché. Nous le rencontrerons au détour de ce tournant :nous sommes face à nous-mêmes.

Avoir cette chance de se regarder, de voir nos jugements sans jugements, la plupart en lien avec notre éducation.

Ce bonheur n’est pas dans un objet quel qu’il soit, il est dans ce regard que nous nous donnons à nous-mêmes. Il est celui de désapprendre, comme une passion, celui de prendre conscience de tout ce qui nous limite en nous-mêmes, des idées que nous entretenons à notre sujet et au sujet des autres.
lors nous ne cherchons plus le bonheur, nous ne l’espérons plus, car en quelque sorte, ce qui vient est ce que nous désirons. Nous n’imaginons plus qu’il puisse se trouver ailleurs que là où nous sommes, car nous ne désirons que ce que la vie nous apporte.

Et nous remercions cette dépression, cet accident, cet échec, cette perte qui ont été à l’origine de la brèche.
Peut-être traverserons-nous ces passages seuls. Cela dépendra de notre chemin. Serons-nous accompagnés par un autre ? Serons-nous amenés à cheminer seul ? Il n’y a pas de chemin plus propice qu’un autre. La comparaison n’est pas à propos. Nous y découvrirons des différences à la mesure de la richesse d’expressions de la vie.
Quant au remerciement, souvent nous remercions longtemps après, car sur le moment nous ne vivons que la douleur ou l’angoisse. Progressivement, il se rapproche de l’événement, jusqu’à remercier l’événement quand il se présente. Nous avons alors intégré que la difficulté n’est pas là pour nous détruire mais nous invite à nous regarder et nous questionner : quelles sont tes certitudes ? Notre bonheur est là, dans cet abandon à nous-mêmes qui nous conduit à ce « je ne sais pas » disponible.


Ici, me vient cette question : le bonheur ne serait-il pas ce désir d’être en paix avec nous-mêmes ?
Cette paix liée à un abandon : nous sommes fatigués de prouver que nos idées sont les meilleures. Nous nous retrouvons entre amis, avec des personnes que nous ne connaissons pas. Un dialogue s’installe. Nous parlons d’éducation. Nous écoutons comment les points de vue des autres nous agissent ou nous font réagir. Nous sommes seulement dans cette écoute vers nous-mêmes : « Comment cela me touche ? Je sens qu’en moi vit une autre vérité, ai-je envie de la partager ? Est-il opportun de la partager ? Suis-je prête à la partager ? Ne désirerais-je pas d’une certaine façon l’imposer, me prouver ? »

Nous écoutons en nous-mêmes. Comme un effondrement. Installé à l’intérieur avec ce seul désir de se respecter, non pas face à l’autre, mais avec nous-mêmes. Dans le désir de reconnaître ce qui se vit en nous : projection, ressenti ? Nous ne justifierons pas ce que nous percevrons. Nous ne nous convaincrons pas.
Seulement dans cette ouverture à nous-mêmes.

Les énergies se réorchestrent, elles retournent vers notre intériorité, accueillant ce qui se vit, que ce soit de la révolte, un malaise ou une joie de communion.

Notre regard habituellement tourné vers l’extérieur, dans une tension vers l’autre, s’effondre lui aussi au-dedans de nous. Nous nous abandonnons à cette reconnaissance et cet amour pour nous-mêmes. Notre mental intimement lié à notre ego s’abandonnent tous deux dans cette chaleureuse rencontre avec nous-mêmes, dans ce retour qui ne trie pas les sentiments.


Un sentiment de manque survient, nous ressentons.
Un sentiment de peur, d’angoisse, nous ressentons.
Un sentiment de ne pas y arriver, nous ressentons.

Peut-être au début, le sentiment est trop intense. Nous ne nous prouverons rien. Nous appellerons un ami, nous lirons un livre, nous regarderons un film à la télévision. Puis le sentiment revient. A moment donné, nous nous donnons à lui. Son intensité est la même, cependant nous apprivoisons cet acte : ressentir, être avec.
Ici, le bonheur est le fait de ressentir ce qui se vit en nous.

A l’image d’un arbre qui ne cherche pas à nous prouver que nos pensées sont limitantes, nous demeurons dans ce lieu paisible au milieu d’une discussion où chacun cherche à avancer sa vérité.
Là, nous écoutons l’autre, son histoire, à travers son discours sur l’éducation. Nous écoutons, ici est synonyme de nous ressentons, nous percevons. Nous écoutons l’autre n’est peut-être pas le terme adéquat, nous écoutons en nous ce qui se vit en l’autre. Nous sommes avec nous-mêmes.
Tout nous renvoie à cette disponibilité.
Percevoir, ressentir deviennent le lieu du bonheur non éphémère.

Nous ne l’attendons plus demain simplement parce que cela se vit à chaque instant de la vie. Comme une douce attention dans notre corporalité. Nous n’alimentons plus notre mental, nous n’en avons plus besoin comme avant, en outil de protection. Nous n’avons rien à protéger de cette façon là.
Cela ne veut pas dire que nous ne sommes plus perturbés, en colère, dans la tristesse, ou dans d’autres émotions. Elles viennent, nous les ressentons comme l’ultime cadeau qui nous rappelle à nous-mêmes.
Plus de victimes, plus de bourreaux ni de sauveurs. Seulement des instants d’ouverture où nous nous rappelons
Cette écoute libre d’idées sur nous-mêmes

Ce nous-mêmes, présence éternelle, affecté ni par le bonheur, ni par le malheur car « inaffectable » où demeure cette « joie sans objet »

Helene Naudy

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